Une réflexion sur ce que nous laissons aux générations futures en héritage et comment faire mieux.
Dans cet épisode, nous abordons le sujet de l'héritage et comment il affecte notre présent et notre avenir. Je discute avec Alexandre Monin, un philosophe et expert en numérique et en durabilité. Nous explorons les questions liées à la gestion de nos structures et infrastructures actuelles, qui ne seront peut-être plus viables dans un futur avec moins de ressources. Nous réfléchissons également à l'héritage que nous laisserons aux générations futures et à la nécessité de repenser nos modes de production et de consommation. Alexandre souligne l'importance de trouver un équilibre entre les deux extrêmes de maintenir le statu quo et de rejeter radicalement les modèles existants, en cherchant une voie qui nous permet de réinventer nos représentations, nos savoirs, nos imaginaires et nos pratiques. Nous discutons également de la nécessité de gestion des ressources, du renoncement et du concept des communs, ainsi que des défis posés par la culture de l'innovation. Enfin, nous mettons en lumière des exemples concrets de problèmes environnementaux auxquels nous sommes confrontés, tels que la gestion de l'azote en Bretagne et les résistances à la reconversion de certaines industries non durables.
Interview enregistrée le 19 mai 2023
Transcript de l'épisode
Présentation d'Alexandre Monnin, philosophe du numérique et de l'environnement.
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Est-ce que tu peux te présenter brièvement, s'il te plaît ? Oui, bien sûr. Je suis Alexandre Monnin, je suis philosophe, j'ai travaillé une quinzaine d'années dans le domaine du numérique, j'ai fait une thèse de philosophie, j'ai soutenu une dizaine d'années sur l'architecture et la philosophie du web, et je travaille depuis à peu près 2014-2015 sur des enjeux environnementaux.
Je me suis d'abord posé la question de la soutenabilité des technologies numériques, et puis à partir de 2017, avec Diego Landivar, on a élaboré un programme de recherche et d'action qui a donné lieu ensuite à ce qu'on appelle aujourd'hui la redirection écologique que j'enseigne et dans le cadre de laquelle j'effectue aujourd'hui mes recherches. Je suis depuis 2017 enseignant-chercheur à l'ESC Clermont, directeur d'une formation, le Master of Science Stratégie et Design pour l'anthropocène où on enseigne précisément la redirection écologique. D'accord, on va essayer de définir tous ces termes, on va parler technologie, écologie, transition, infrastructures, voilà. Et ce qui est intéressant c'est que tu as un prisme très large sur ces questions-là et qui est assez original, donc on va y passer du temps. D'abord, quel est ton prisme de lecture du monde, les lunettes que tu portes comme je demande parfois, et pourquoi est-ce que selon toi ce prisme est important, intéressant en fait. Comment tu en es venu à ça ?
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Alors effectivement, le prisme que j'ai avec mes collègues, mais que j'ai aussi personnellement, c'est d'envisager, c'était une partie du titre du précédent livre qu'on avait écrit ensemble avec Emmanuel Bonnet et Diego Landivar, la question de l'héritage en fait, de quoi on hérite aujourd'hui et quelle trajectoire on doit collectivement donner à cet héritage qui n'est pas forcément tenable aujourd'hui.
Et quand je parle d'héritage j'ai en tête, précisément tu en as parlé déjà, des infrastructures, des technologies, des modèles, modèles économiques, modèles de développement, modèles managériaux, on peut en imaginer beaucoup, modèles organisationnels aussi, et des éléments dont nous sommes dépendants aujourd'hui mais qui en même temps posent question et donc c'est moins un prisme critique au sens classique, au sens où la critique ferait disparaître son objet, il suffirait de critiquer le capitalisme pour qu'il disparaisse, il faudrait critiquer les technologies qui sont problématiques pour qu'elles disparaissent. Non, ça ne marche pas exactement comme ça. Il y a toute une industrie de la critique du capitalisme qui n'a pas jusqu'ici, même une industrie capitalistique de la critique du capitalisme qui n'a pas forcément détruit son objet. Et donc la question c'est plutôt de à un moment donné reconnaître que ça existe et puis aller voir comment ça fonctionne pour derrière par contre le détricoter et changer la trajectoire, qui n'est pas une trajectoire consistant à maintenir ces éléments-là s'ils sont problématiques, mais peut-être envisager leur fermeture. Mon prisme c'est celui-ci, héritage, enquête et puis derrière fermeture.
Le problème civilisationnel actuel et les repères perdus
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Comment est-ce que tu décris le problème civilisationnel actuel, c'est-à-dire cette conjonction de crise, cette poly-crise comme certains disent, poly-crise en quelque sorte, et en tout cas ce moment où en quelque sorte tout s'accélère et où on a l'impression que les repères explosent, on parle justement de dépassement de limites écologiques mais de perte de repères par rapport à la technologie etc. Qu'est-ce qui est en train de se passer et pourquoi En écho direct à ce que je disais à l'instant, si je devais diagnostiquer un petit peu ce qui se passe, je dirais qu'on est dans un moment où on est pris entre deux tentations, si je puis dire.
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Tentation de dire, face à ces polycrises finalement, les modèles existants sont inopérants, il faut s'en défaire radicalement. Ça peut être des modèles technologiques, politiques, civilisationnelle, tout ce qu'on veut, et puis une tentation au contraire d'aller plus loin dans le "business as usual", finalement de dire non ces modèles sont là, c'est ce qui nous permet d'aujourd'hui d'être humiliants, c'est ce qui nous a permis de sortir des gens de la pauvreté, etc. Et donc il faut au contraire les maintenir et aller plus loin. Et donc comment, pour moi c'est toute la question qui se pose, comment est-ce qu'on arrive à trouver une ligne de crête entre on sort d'un coup d'un seul de nos dépendances à des éléments jugés problématiques, infrastructures, technologies, etc. on l'a dit, modèles de toutes sortes, et en même temps on maintient effectivement le business as usual. Parce qu'aucune de ces deux alternatives pour moi n'est viable en réalité. Sortir d'un coup d'un seul à 8 milliards ça n'est pas possible, en fonction de nos dépendances collectives, pas que dans le nord global d'ailleurs mais aussi dans le sud, et puis en même temps tout maintenir et aller vers une forme de carbofascisme ça n'est pas ça n'est pas envisageable non plus donc faut trouver une ligne de crête c'est pas mon terme que j'utilise qui n'est pas une voie simplement médiane.
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Ces termes là, c'est pas une forme de centrisme.
Sachant qu'en plus aujourd'hui le centrisme est plutôt extrême qu'autre chose, mais ce n'est pas une forme de centrisme ou de moyen terme un peu affadie.
Chez Aristote d'ailleurs le moyen terme c'était le terme vraiment extrême, c'était celui qui était entre deux écueils et qui cherchait une voie de passage entre les deux, et qui cherchait à s'en éloigner.
Et là c'est pareil, c'est comment est-ce qu'on s'éloigne de ces deux écueils qui ne sont pas tenables, mais ça évidemment on n'a pas forcément les représentations, les savoirs, les imaginaires, les technologies, les pratiques pour le faire, C'est pour ça qu'il faut les réinventer très rapidement.
Autrement, il y a la tentation de ne pas regarder en face ces polycrises, ces réalités qui nous imposent de faire des choix inédits et de se réfugier dans des narratifs comme, on l'a vu pendant la pandémie de Covid, où on fleurit les théories du complot.
On le voit aujourd'hui ce qui se passe aux Pays-Bas, confronté à une très grave crise au niveau agricole et au-delà.
Pareil, les gens ont préféré dire qu'il n'y a pas de crise de l'azote aux Pays-Bas, il n'y a pas besoin de changer le modèle.
En réalité c'est une théorie du complot. Ils ont substitué à cette réalité-là une théorie du complot parce que c'était plus facile d'imaginer qu'il y avait un grand emplacement en cours des populations que véritablement une crise environnementale. Donc voilà, comment est-ce qu'on arrive à regarder ce diagnostic avec en même temps les outils, les dispositifs qui nous permettent de l'encaisser, pour ne pas se retrouver impuissant et uniquement dans les formes effectivement de réactance qui.
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Peut être tout à fait problématique ? Alors regardons un petit peu plus le diagnostic.
L'idée d'anthropocène pour comprendre notre trajectoire et les problèmes
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Certains parlent d'anthropocène pour expliquer tout ce qui est en train de nous arriver, d'autres vont parler du dépassement de limites, ou alors ça peut être le même sujet, enfin il y a plusieurs manières de décrire ce qui nous arrive. Toi, comment tu le décris, et comment peut-être cette idée d'anthropocène permet de penser, de comprendre notre trajectoire et les problèmes dont on hérite ? C'est vrai que je m'appuie sur cette notion d'anthropocène, qui fait beaucoup débat, qui fait toujours débat aujourd'hui dans différentes communautés. Alors.
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Pour préciser les choses, l'anthropocène c'est ou ce serait la nouvelle époque géologique, alors c'est pas une ère, c'est une époque, c'est plus petit, dans laquelle nous serions rentrés, marqués par les conséquences des activités humaines et industrielles et qui engendrent justement un dépassement en cours des limites planétaires. Alors au départ l'anthropocène, c'est une notion proposée par Paul Kutzen, il n'a pas forgé le mot mais il l'a proposé en ce sens-là, en disant qu'on n'était plus dans l'Holocène, on était dans une ère nouvelle marquée justement par de nouvelles trajectoires du système Terre pour le dire vite. Et en fait c'est dans la communauté des géologues que ce terme a été développé, mais bien vite il s'en est émancipé pour désigner justement les conséquences comme j'indiquais des activités humaines et qui marquent en fait une ère à la fois de maîtrise, puisque l'être humain ou certains humains en tout cas sont devenus, où on fait que tout le monde est devenu finalement une force géologique, l'humanité dans son ensemble, même si elle n'est pas également responsable, est devenue une force géologique ?
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Donc on peut suivre comme ça les effets de ces activités, mais en même temps, face aux conséquences de cette déstabilisation, nous sommes relativement impuissants.
Si le climat augmente, si les océans s'acidifient, on n'a pas forcément la capacité à maîtriser justement les conséquences de notre action.
Donc c'est une ère un peu paradoxale, à la fois de maîtrise et de déprise, et en fait la notion de limite planétaire au départ a été proposée indépendamment de celle d'Anthropocène, mais permet effectivement d'avoir une vision qui dépasse à la fois la géologie, mais qui dépasse aussi le climat, pour envisager justement les conséquences d'activités humaines dans différents domaines, donc l'acidification des océans, je l'ai dit, la chute de la biodiversité, l'azote et le phosphore, etc., mais aussi les polluants lancés dans l'atmosphère, la disponibilité d'eau douce.
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Enfin bon, il y a neuf comme ça limites planétaires, et qui en fait, point important à garder en tête, définissent des conditions d'habitabilité de la Terre et si ces limites sont remises en cause, si elles sont dépassées, alors on parle de limites ou de frontières, ce n'est pas des limites ou des seuils d'ailleurs, si ces limites ou ces seuils sont atteints et bien ce sont les conditions d'habitabilité sur Terre qui sont mises en cause. Donc c'est une notion intéressante parce qu'elle permet d'embrasser effectivement beaucoup de choses. Elle a été critiquée par les sciences humaines au titre de la dépolitisation finalement qu'elle engendrerait, c'est l'humanité dans son ensemble qui serait responsable. Alors il y a des débats très intéressants dans lesquels je ne vais pas rentrer. Il y a beaucoup d'alternatives qui ont été proposées à l'anthropocène pour souligner l'importance d'une cause en particulier ou de populations particulières. Certains ont parlé d'anglocène pour dire que c'était la faute des anglo-saxons à cause de la révolution industrielle par exemple, d'autres ont parlé de capitalocène pour dire que.
Les alternatives au capitalisme et l'Anthropocène
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C'était la faute du capitalisme, mais en fait les alternatives il y en a énormément, il y en a des centaines maintenant, peut-être 200, quelque chose comme ça. Paradoxalement, plus il y a de l'alternative, plus c'est facile de se référer à la notion de base que celle d'Anthropocène, mais en comprenant bien qu'elle est grosse de toutes ces controverses, et que donc c'est cette notion enrichie depuis une vingtaine d'années à laquelle effectivement moi je me réfère. Donc en regardant, effectivement, toutes ces causes, sans chercher d'ailleurs à en identifier une parmi les autres, mais c'est vrai que je préfère malgré tout, notamment parce que le Le terme qui est souvent opposé à celui d'anthropocène, c'est celui de capitalocène.
Je préfère malgré tout parler d'anthropocène puisque ça nous fait toucher du doigt des échelles, notamment des échelles de temps où les problèmes qui se posent, se posent désormais, qui ne sont pas forcément compatibles simplement avec l'horizon du capitalisme.
Comme le dit Dipesh Chakrabarty, le grand historien indien, si on n'avait aujourd'hui qu'un problème de capitalisme, tout irait bien.
Ça ne veut pas dire qu'on n'en a pas, ce n'est pas du tout ma vision, ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est les deux, mais ce problème de capitalisme nous ouvre justement sur une compréhension des enjeux qui sont les nôtres, qui sont des enjeux aussi planétaires et qui s'étendent sur des périodes de temps, si on détruit des sols, c'est sur des périodes temps qui échappent en fait à toutes...
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Temporalité politique finalement. Et donc la question c'est comment est-ce qu'on arrive à adresser ces questions-là et effectivement c'est pas évident.
En tout cas ça se passe pas simplement dans la contestation classique du capitalisme, qui est toujours nécessaire mais qui n'est pas suffisante pour affronter ces nouveaux enjeux.
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Tu peux développer un petit peu là-dessus, c'est un point intéressant. Pourquoi elle n'est pas suffisante selon toi ?
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C'est pas suffisant parce que mettons qu'on renverse le capitalisme, restera effectivement des sols détruits, de la biodiversité en danger, des dynamiques d'acidification des océans qui ne vont pas être transformées du jour au lendemain. Il y a une forme de défense, c'est-à-dire qu'il ne faut pas l'arrêter tout de suite, mais il y a quand même une sorte de latence derrière tout ça, et parfois des dommages irréversibles, et ces irréversibilités ouvrent parfois sur des temporalités qui échappent précisément au prisme classique de la politique, qu'on soit dans la contestation du capitalisme ou pas. Et en plus sur les causes, c'est l'argument de Chakrabarty dit qu'on aurait pu imaginer que des systèmes socialistes, ça n'est pas le cas, ça a une importance au plan historique, et que des systèmes socialistes de redistribution puissent nous faire entrer dans les mêmes problèmes que ceux dans lesquels on est rentré aujourd'hui.
Donc voilà, il s'agit simplement de ne pas réduire les enjeux actuels au capitalisme, mais sans non plus ne pas regarder le capitalisme comme une cause partielle, mais qui n'épuise pas, effectivement qui ne doit pas épuiser intégralement notre compréhension de la situation. Tu l'as dit, un des grands enjeux de l'époque c'est cette fameuse transition, le problème écologique, on va l'appeler, tu regardes pas que ça mais évidemment ça conditionne quand même beaucoup de choses sur la suite de notre histoire et donc on a décrit ça comme cette fameuse transition écologique qu'il faudrait faire, qu'il faudrait.
Transition écologique vs redirection : explications et nuances
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D'abord imaginer, mettre d'accord dessus et puis ensuite faire. Je crois comprendre que tu n'aimes pas trop ce concept de transition et tu préfères parler de redirection. Est-ce que tu peux m'expliquer tout ça ? Bien sûr. Alors effectivement avec mes collègues Diego Andivar et Manuel Bonet, on a repris un terme, un designer australien qui s'appelle Tony Frank, qui parlait lui de redirection dans le contexte du design, parce qu'il nous a semblé qu'effectivement la notion de transition, mais d'autres paradigmes qui peuvent lui être associés. Alors la notion de transition qui était déjà une forme de radicalisation de l'approche antérieure comme la croissance verte, le développement durable, mais qui finalement aujourd'hui ne veut plus forcément dire grand chose même s'il y avait une intention intéressante au début. En tout cas dans tous ces paradigmes là, je ne vais pas rentrer évidemment sur leurs différences, mais dans tous ces paradigmes là grosso modo ils ont ceci de commun qu'on a l'idée qu'on va pouvoir maintenir l'existant à condition de le rendre plus efficient ou de le verdir.
Pour verdir nos technologies, nos infrastructures, nos modèles, nos organisations, tout ce qu'on veut.
Mais on réfléchit finalement assez peu, et c'est une réflexion qui n'est pas évidente, à ne pas verdir ce qui ne doit pas l'être, ou, avant de poser la question de verdir un certain nombre de choses, de poser la question de ce qui aujourd'hui nuit à l'habitabilité de la Terre, comment est-ce qu'on le remet en cause ?
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Là, la question, ce n'est plus simplement de le verdir, éventuellement de le remettre en cause, éventuellement de le fermer, de le démanteler et d'opérer un certain nombre d'arbitrages puisque nous considérons qu'on ne pourra pas tout maintenir demain. Donc si, on ne doit pas tout maintenir, la question qui se pose c'est à quelles conditions on opère des arbitrages ? Or cette question là, elle n'est pas vraiment mise sur le devant de la scène, comme le disait récemment un homme politique qui est le président d'un conseil départemental, il disait aujourd'hui personne ne veut arbitrer, parce que la personne qui arbitre évidemment fait l'objet de toutes les critiques, tous les ressentiments. Et donc personne ne veut arbitrer alors même qu'on est à une époque où on est de plus en plus amené à arbitrer entre des activités qui ne sont pas forcément mutuellement compatibles, qui deviennent insoutenables, etc. Donc on met vraiment dans la redirection écologique l'accent sur cet élément-là, qui était un petit peu le parent pauvre, et donc sur les conditions vis-à-vis desquelles il faut opérer des arbitrages dans de bonnes conditions. Moi je distingue un certain nombre de critères, opérer des arbitrages de de manière, tant que faire se peut et selon les contextes, mais démocratique et non pas autoritaire, à opérer des arbitrages de manière anticipée et non pas au dernier moment.
Si on le fait au dernier moment, ça boucle avec le précédent critère, puisqu'on n'a pas forcément le temps justement de le faire de façon démocratique.
Et puis opérer aussi des arbitrages qui ne soient pas brutaux, c'est-à-dire qu'on prenne en considération la manière dont les personnes sont attachées à un certain nombre d'activités, d'infrastructures, de modèles qui ne sont pas viables, donc.
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Falloir les aider à se détacher, à se désattacher comme je dis, mais vis-à-vis desquels ils sont néanmoins attachés. Donc il faut comprendre les façons dont ces personnes sont attachées pour pouvoir les désattacher dans de bonnes conditions et leur permettre de se réattacher à d'autres manières de vivre, d'autres modalités de subsistance pour l'avenir. Donc voilà, on met vraiment l'accent sur cet élément-là. Donc là, il y a une conférence Beyond Growth qui a eu lieu cette semaine à Bruxelles, on a parlé de décroissance. Quelle est la différence entre ce que tu viens de dire, cette approche, cette manière de regarder le défi qui est le nôtre, et cette idée de la décroissance.
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Je ne me poserai pas comme un spécialiste de la décroissance, je regarde un petit peu ce qui se passe. Ce qui m'apparaît quand même c'est que la décroissance, et c'est important, il faut faire ce travail là, essaie d'apporter finalement des visions très macro de ce vers quoi il faudrait entrer. Il y a plusieurs courants dans la décroissance, il y en a qui sont plutôt sur la décolonisation des imaginaires, historiquement c'était un petit peu ça, et puis d'autres aujourd'hui qui sont plutôt dans le fait d'essayer de formuler des propositions un peu plus tangibles.
De modèles macro à la réalité de l'anthropocène
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Plutôt portées par des économistes finalement, et il n'y a pas forcément exactement les mêmes sensibilités. Si je m'attarde plutôt sur cette deuxième école, on va dire, ou tendance, je trouve ça très intéressant. On a besoin de modèles macro pour se représenter ce que seraient effectivement des modèles alternatifs. Par contre, la question qui se pose, c'est qu'est ce qu'on fait de ces modèles macro ? Une fois qu'on a produit, que les chercheurs ont produit ces modèles macro ? Est-ce que ce sont des modèles qui circulent au plan politique ? Est-ce qu'ils sont repris ? Est-ce qu'ils ont vocation à être opérationnalisés ? Moi, ce sont toutes ces questions-là qui se posent. Et c'est vrai que de ce point de vue-là, on ne fait pas le même métier du point de vue des gens qui sont impliqués dans la redirection écologique, parce que nous, à faire des enquêtes, en fait, on regarde là où l'anthropocène, entre guillemets, fait irruption dans des organisations, dans des institutions, sur des territoires. Là, dans le pays de faïence, il n'y a plus d'eau, donc les maires ont arrêté la construction neuve pendant cinq ans. Il y a des lieux où il y a du recul du trait de côte, il faut évacuer les populations, on a fermé, démantelé l'immeuble en Gironde, j'ai plus le nom de cet immeuble fameux en tête, mais qui a été évacué. Il se passe plein de choses un petit peu partout.
[19:30]
Il y a les stations de ski où elles savent qu'il n'y aura plus de neige demain, donc il y a une irruption comme ça en fait généralisée dans tous les domaines, dans tous les domaines d'activité économique institutionnelle et la question qui se pose c'est qu'est ce qu'on fait face à ça et il y a souvent les réponses n'existent pas donc il faut enquêter à la fois pour comprendre ce qui se joue sur le terrain très concrètement et en même temps enquêter pour se dire si les modèles alternatifs n'existent pas, comment est-ce qu'on les construit ?
Avant de les construire à un niveau très macro, même si on va en avoir besoin à terme s'il y a une bascule qui s'opère, il faut aussi construire des outils, des dispositifs qui permettent d'affronter ou d'anticiper des situations.
[20:03]
Mais finalement très situées, très ancrées dans des réalités.
Donc là on est moins sur effectivement cette production modèle macro et plutôt le fait de dire cette irruption anthropocène, comment elle se traduit, qu'est-ce qu'elle produit sur la population infectée, comment est-ce qu'on peut accompagner ces transformations, voire les anticiper.
D'accord, donc t'es pas forcément dans une recherche de modèles qui viendraient remplacer modèles existants qui nous permettrait de continuer dans une projection, on pourra en reparler justement de cette idée de projection aussi qui fait partie de ton travail, mais il y a aussi cette idée d'héritage qui est intéressante, que tu as déjà mentionné, sur laquelle je voudrais un peu m'attarder, puisqu'elle est importante dans ton travail et dans votre travail collectif, et tu parles notamment de ce qu'on appelle dans ton dernier livre des communs négatifs, qu'il nous faut absolument prendre en compte pour être capable de penser l'avenir. Donc là encore ça s'inscrit dans une exigence de pragmatisme, j'ai envie de dire, c'est-à-dire de faire en sorte de montrer qu'il y a tout un tas de choses qu'on va devoir gérer, qu'on le veuille ou non, je ne sais pas si gérer d'ailleurs c'est le bon mot, mais qui sont là, qu'on continue de créer, qu'on continue de mettre en place et que y compris dans cette idée de transition, si on parle que de transition énergétique, il y a tout un tas de nouvelles structures qu'on veut construire, qu'on va probablement construire, dont on va hériter ou dont les générations prochaines vont hériter.
L'héritage et les technologies zombies
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Et donc cette question est centrale sur la manière d'habiter la terre et d'habiter un territoire, c'est ça ? Est-ce que tu peux me parler de cette idée d'héritage et de cette idée de commun négatif.
Oui tout à fait, alors l'idée de l'héritage c'est à la fois aller tourner vers le passé et vers le futur. L'idée qu'on hérite effectivement d'un passé qui n'est plus forcément adapté à ce qu'on vit aujourd'hui, à ce qu'on va vivre demain. Encore une fois, des technologies que par exemple mon collègue José Alloy appelle des technologies zombies, c'est la technologie qui dure très peu de temps à l'état de marche, ça ne tue pas sur des renouvelables mais sur des stocks finis, donc qui posent la question de leur durabilité, de leur soutenabilité à terme.
Tu peux nous donner des exemples ? smartphone typiquement smartphone ça dure deux ans à l'état de marche en moyenne pour des raisons d'obsolescence programmé pas programmé matériel logiciel tout ce qu'on veut peu importe.
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Il faut aller chercher des métaux des métaux rares pour les fabriquer donc potentiellement ce n'est pas des éléments qui sont renouvelables à terme alors ça peut être très lointain mais on n'est pas sur les technologies de durabilité très forte et puis c'est pour ça que lui il parle de technologies zombies au sens où elles sont déjà mortes, on sait qu'elles sont déjà mortes, peut-être pas dans l'immédiat mais à terme, on ne pourra pas les maintenir très très longtemps, et d'autre part elles produisent des déchets qui sont des déchets qui ne rentrent pas dans les grands cycles bio-géochimiques, donc ils ne sont pas digérés par l'environnement, et donc ce sont des déchets aussi zombies qui n'arrivent pas à mourir, donc elles sont déjà mortes et en même temps elles n'arrivent pas à mourir, c'est vraiment la définition même du zombie. Et malheureusement la plupart de nos technologies aujourd'hui, au-delà du numérique, sont des technologies en fait zombies et des technologies qui ne seraient pas zombies n'existent plus, ou les futures technologies qui pourraient prendre le relais et qui seraient dézombifiées n'existent pas encore. Donc toute la question c'est qu'est ce qu'on fait dans cet intervalle et effectivement tu parlais de nouveaux projets etc c'est quels nouveaux projets on imagine peut-être qu'on n'a pas le choix que d'aller vers de la, soutenabilité faible avant de basculer vraiment vers de la soutenabilité forte pour nous donner le temps d'aller vraiment vers des modèles de soutenabilité forte qui n'existent pas forcément aujourd'hui, mais on prend un exemple à nouveau très très concret, ça veut dire que peut-être il faut faire quelques véhicules électriques, par contre il ne faut pas faire des générations des générations d'ESUV électriques.
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Qui serait évidemment un modèle de maladaptation et tout à fait problématique et une tentative de rendre durable ce qui ne devrait même pas exister.
Donc on est sur des questions assez fines de ce point de vue-là.
Et donc je disais, effectivement, il y a un héritage venu du passé.
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Typiquement ici l'automobile, on a des dépendances à l'automobile et plus largement au modèle de mobilité autour de l'automobile puisqu'on a des infrastructures qui tournent autour de cette innovation-là.
Qu'est-ce qu'on en fait, comment est-ce qu'on les détricote, pas simplement pour électrifier l'existant, mais vraiment repenser la mobilité à terme, ce qui ne fait pas évidemment d'un claquement de doigts.
Donc, on peut multiplier les exemples, regarder un petit peu tous les modèles dont on est dépendant, on verra qu'ils sont assez problématiques.
Encore une fois, il n'y a pas qu'au nord, il n'y a pas que des automobiles au nord qui caractérisent justement ces questions-là.
Il y a même des technologies au sud, et ce serait même un peu raciste de penser qu'il n'y en a pas, quand on peut avoir un regard très condescendant sur le sud et ne pas comprendre aussi notre propre position, qui est en train d'être pas mal bouleversée de ce point de vue-là.
Gérer les ressources et infrastructures problématiques
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Et puis aussi penser un héritage de l'avenir, c'est-à-dire dire qu'on est en train aussi de mettre en place de nouveaux dispositifs, de nouvelles innovations, de nouveaux produits, qui là encore n'ont pas forcément leur place dans le monde de demain, qui vont être problématiques, et donc la question c'est aussi d'envisager leur devenir, voir leur fin, voir ne pas les faire advenir, si ça n'est pas une bonne idée, et là aussi on a beaucoup moins de savoir, de savoir-faire en la matière.
Et donc les communs négatifs c'est un petit peu cette idée là, qu'il ne faut pas penser uniquement des communs à la hélinérostrome, des communs, c'est-à-dire des réalités que l'on est appelé à gérer collectivement ou des communautés, des collectifs sont appelés à gérer collectivement en se donnant des règles démocratiques pour se.
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Faire, qui sont en fait des réalités généralement positives, qu'on essaye comme ça de faire perdurer. Et donc la conception des communs, elle dit qu'il faut sortir de la propriété publique, sortir de la propriété privée pour réimaginer d'autres formes de gestion et de gouvernance, pour gérer justement les ressources autrement et de manière dure.
Simplement, il n'y a pas que des ressources positives et les communs souvent insistent uniquement sur les ressources positives pour trouver des façons de ne pas les accaparer, ne pas les détruire, mais d'arriver à les maintenir de façon soutenable dans le temps.
Il n'y a pas que des ressources positives, demain on va, et aujourd'hui, d'ores et déjà, on hérite aussi de sols pollués, d'infrastructures en déshérence, de rivières qui sont asséchées, de nappes phréatiques à la baisse, etc.
Et qu'est-ce qu'on fait de ces éléments-là, et qu'est-ce qu'on fait alors qu'ils vont se multiplier ?
Qui va en hériter, qui va s'en occuper, à mesure qu'ils se multiplient.
Est-ce que c'est uniquement les populations qui vivent juste à côté de ces réalités-là, ou alors est-ce qu'on trouve un traitement commun à ces réalités ?
Premier exemple de commun négatif, c'est celui-ci.
Deuxième exemple, c'est de dire qu'il n'y a pas que des communs négatifs qui ressemblent à des communs négatifs, qui portent sur eux leur négativité.
[26:18]
Tels que ceux que je viens de présenter, mais qu'on pourrait dire que le smartphone, comme un élément qui dure deux ans, absolument pas viable du point de vue des technologies mais auquel on est de plus en plus dépendant, pourrait être vue justement comme une technologie absolument pas soutenable et donc d'une certaine manière comme un combat négatif. On pourrait dire, je pense que ça fait partie des luttes actuelles, que la 5G, on a vu la contestation avant la pandémie de Covid, n'est pas forcément quelque chose de viable, y compris d'ailleurs économiquement pour ses opérateurs, mais on, pourrait parler aujourd'hui également des méga-bassines, il y a toute une contestation justement des méga bassines au nom de la maladaptation finalement qu'elle viendrait incarner. Et donc l'idée de les faire reconnaître comme des comodinatives, c'est une manière de politiser ces réalités-là pour leur donner une autre trajectoire et peut-être dire qu'il ne faut, pas forcément les multiplier, il ne faut pas forcément les faire advenir, il faut peut-être démanteler celles qui existent aujourd'hui alors que c'est vu parfois comme des solutions pour l'avenir. Donc c'est de repolitiser finalement toutes ces entités pour arriver à leur donner une autre trajectoire. Qu'est-ce qui fait qu'on systématiquement, parce qu'on peut le faire, on va le faire.
C'est quoi cette dynamique là ? C'est une très bonne question, moi j'ai connu ça en recherche, je ne l'ai pas dit, mais j'ai travaillé trois ans dans un grand centre de recherche en informatique qui est INRIA en France, entre 2014 et 2017.
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Effectivement, ce qui m'était apparu c'est que dès qu'il y avait la possibilité de faire quelque chose, un projet, même un projet un peu absurde, c'était l'opportunité de le faire en fait.
Il fallait que tout advienne à la réalité.
Et c'est vrai qu'on a sans doute un biais pour penser le changement de manière additive.
Alors il y a des travaux en sciences cognitives que je cite d'ailleurs dans mon dernier livre, c'est un peu inhabituel parce que même si j'ai étudié pas mal la philosophie de l'esprit quand j'étais jeune, je me réfère assez peu aux sciences cognitives, mais ce sont des travaux très peu réductionnistes, qui envisagent qu'il y a plein d'autres facteurs.
[28:04]
Institutionnels, culturels, etc., et donc qui tendent en tout cas à montrer que nous aurions pour penser le changement et la transformation du monde, un biais additif et un anti-biais si je puis dire soustractif.
Donc on a un biais pour penser le changement par l'addition, de nouveaux projets, de nouveaux dispositifs, etc. et on n'arrive pas à le penser par la soustraction. Et de ce fait.
[28:27]
Comme on n'arrive pas à le penser par la soustraction, eh bien on n'a pas de pédagogie de la soustraction, on n'a pas de pédagogie du renoncement, on ne sait pas ne pas faire advenir et d'ailleurs il n'y a pas d'incitation à le faire. Si je reprends mon exemple des chercheurs qui sont censés aujourd'hui innover, puisque la recherche et l'innovation vont de pair, y compris dans les instituts ministériels, eh bien tout est fait pour justement un financement par projet et qu'on valorise sa carrière avec de nouveaux projets. Mais à aucun moment on se pose la question de la validité de ces projets, de leur pérennité, de leur bien-fonder. En fait c'est le projet qui est à lui-même sa finalité et ce sur quoi on est évalué c'est pas les conséquences.
[29:02]
Du projet, c'est sur le fait de décrocher un projet. Donc toute sa carrière va passer par la nouveauté et à aucun moment finalement on se pose la question de savoir si c'est une bonne idée, si c'est pérenne et ça rejoint un petit peu un processus dans le champ scientifique sur lequel je reviens un petit peu également dans mon livre qui est par exemple une survalorisation des résultats positifs et une sous-valorisation voire une dévalorisation des résultats négatifs qui au contraire peuvent nous dire bien telle piste qu'on envisageait comme étant une piste viable on apprend qu'en fait elle ne l'est pas donc ça coupe comme ça une branche en disant mais en fait on ne veut pas aller dans cette direction on a des éléments qui nous permettent d'en attester et bien des publications qui iraient dans ce sens jusqu'à il y a peu n'avaient pas forcément de destination en termes de journaux pour les publier. Ça a été créé, ça a été mis en place, donc de plus en plus on essaie de donner de la visibilité aux résultats négatifs, mais évidemment les résultats positifs ou supposés tels ont beaucoup plus d'importance que les autres. Donc là encore on est pris là dedans. Il y a toute une culture à partir de ces biais là qui s'est solidifiée avec le temps.
L'impact économique de la recherche d'innovation et de croissance.
[29:57]
Et puis t'as aussi une mécanique presque économique qui est derrière ça, c'est-à-dire qui fait que, à la fois dans la manière dont les entreprises fonctionnent, effectivement on va valoriser l'initiative, on va valoriser la nouveauté, la recherche de nouvelles manières de faire les choses, et puis il y a les promesses de croissance économique derrière, auxquelles à peu près tout le monde doit se plier en fait, ça fait partie des règles du jeu, et on voit même par exemple, même quand tu as, un bon exemple c'est l'artégence artificielle en ce moment où tu as des gens qui sont absolument spécialistes du sujet qui te disent ok faudrait peut-être un petit peu ralentir, on sait pas du tout ce qu'on est en train de faire et l'impact est potentiellement gigantesque et, hors de question de ralentir finalement parce que les gains potentiels, même si on ne comprend pas ce qu'on fait, les gains potentiels sont énormes. Quelles sont les autres choses en fait qui nous entraîne dans cette course à poser toujours plus de choses et après on parlera de cette idée de renoncement, mais quels sont les autres éléments selon toi que tu vois qui font qu'on a autant de mal à penser le non-faire.
[31:06]
Par rapport à ce que tu dis, il y a au moins deux choses. Le fait d'être quand même pris dans ce paradigme de la destruction créatrice, qui est très important, ce paradigme de l'innovation qui remonte à Schumpeter.
Maintenant, on a sans doute une version un peu affadie, parce que Schumpeter mettait plein de mise en garde à côté de tout ça.
C'était quand même une vraie réflexion. Aujourd'hui, c'est plutôt l'idée qu'il y a des lieux qu'il faut disrupter, des domaines qu'il faut disrupter avec de l'innovation.
Pouvoir détruire, recréer, détruire, recréer de manière un peu mécanique.
[31:38]
Donc, on est aussi dans cette culture-là. Et d'ailleurs, c'est pour ça que je ne parle pas de destruction, mais de renoncement pour interrompre aussi ce cycle-là de la création-destruction continuelle, où la destruction n'est pas fin au cycle, mais en fait, elle contribue à le relancer.
Et je pense qu'aujourd'hui, on est même dans un paradigme un petit peu différent.
Tu parlais justement de l'intelligence artificielle en disant qu'il y a des potentialités, et c'est à cause de ces potentialités qu'on n'arrive pas à le fermer.
Ça rejoint un petit peu ce que je disais en fait sur la recherche, qui en fait pour moi n'est pas du tout éloigné de l'économie privée, qui est au contraire même à l'avant-garde d'une certaine manière de ses évolutions, puisque en recherche ce qu'on va valoriser c'est le fait d'avoir obtenu des projets, c'est pas le résultat produit. Et donc si j'ai obtenu un projet, c'est à dire comme le dit le philosophe Michel Ferrer, je suis un bon investi, c'est à dire qu'on peut investir en moi, on sait que je suis capable de porter un projet, et donc ça veut dire que demain on va pouvoir continuer à investir sur moi et après demain pareil. Et donc ce que l'on valorise de cette manière, c'est moins les projets eux-mêmes qui sont en fait uniquement des marchepieds pour un investissement potentiel à venir. Et toute l'économie repose sur ça en fait, toute l'économie repose sur ces potentialités et l'idée de dire là on a des lieux où potentiellement il faut investir mais donc c'est sur une promesse et donc c'est cette promesse qui opère cette relance.
[32:52]
Continuelle finalement de l'investissement et qu'on n'arrive pas du tout à interrompre. Donc c'est une économie finalement très spéculative, que ce soit au niveau individuel, on se vit soi-même comme finalement un bon investi, il faut devenir un bon investi, voilà, par rapport aux autres, ou alors que ce soit l'économie plus traditionnelle qui est celle aujourd'hui des entreprises. Mais donc ce phénomène presque de financiarisation très spéculative de l'avenir, effectivement, c'est ça qui est très problématique aujourd'hui. Et t'as des réflexions sur la notion de projet, justement, sur le fait qu'on est obligé de faire des projets pour se projeter dans l'avenir en en fait, parce que c'est dans le mot.
[33:27]
Et tu dis que finalement, ça fait partie du problème.
Critique de la notion de projet et de la promesse.
[33:31]
Oui tout à fait, c'est notamment quelque chose qui est porté par mon collègue Emmanuel Bonnet, mais tous les trois avec Digo Van Diver, on a un peu une critique sous-jacente du projet, c'est cette idée effectivement que tout devient un projet, que le rapport au futur, le rapport à l'avenir est totalement conditionné par cette notion de projet, et donc par la promesse finalement qu'enjante cette notion de projet.
On revient sur ce que je disais tout à l'heure, en recherche, tout est devenu projet, le financement c'est un financement exclusivement quasiment aujourd'hui par projet, et donc c'est un financement sur des promesses, mais qui ne sont pas des promesses qui doivent livrer véritablement des résultats, il n'y a pas d'évaluation par exemple des projets, il n'y a pas de réflexion sur la pérennité des livrables, c'est le projet en tant que tel qui est devenu la finalité et la promesse qu'est ce projet, et ça effectivement c'est une économie qui ne peut pas s'interrompre parce qu'une promesse nourrit une future promesse qui nourrit à nouveau une future promesse et puis à aucun moment on va se poser la question de l'impact véritable de tout ça.
[34:27]
Alors parlons un peu du renoncement. On a beaucoup de mal, et c'est très explicite aujourd'hui, en fait explicité par beaucoup de penseurs, avec l'idée de limite et donc avec l'idée de renoncement. Même lorsqu'il s'agit de pivoter, d'essayer d'inventer un modèle, on imagine des projets, on imagine une nouvelle économie, on imagine construire de nouvelles infrastructures, et on veut même que ce soit excitant, que ce soit un projet dans lequel on puisse imaginer un futur désirable ou quelque chose comme ça. On parle de progrès toujours, même parfois encore de développement. A quoi il faudrait renoncer fondamentalement et comment tu penses toi cette idée de cette importance de l'idée de renoncement et pourquoi c'est si dur.
[35:17]
Alors moi, je la pense d'une manière, il faut le dire d'emblée, non morale.
C'est-à-dire que le renoncement, souvent, va faire écho à des conceptions un peu morales ou moralisantes, en disant voilà, il faut être dans le renoncement, il faut éviter, des formes d'hubris, justement de dépassement des limites.
[35:35]
Je dois dire que moi-même, j'ai un rapport un peu complexe à cette notion de dépassement des limites, parce que...
Oui, comme une forme de sagesse, tu veux dire, c'est de la mesure... Exactement.
Planétaires, j'aime bien l'expression qu'avait Brenoit Tour dans son dernier livre avec Nicolas Eschulte, c'est de dire on a contourné les limites planétaires. À partir du moment où on a contourné comme ça les limites planétaires, on ne sait pas si c'est un dépassement, un dépassement partiel ou autre, c'est compliqué en fait de ne plus les dépasser ou les contourner. Donc c'est sûr qu'il faut opérer des renoncements dans cette perspective-là, parce qu'on ne peut pas continuer à le faire, mais l'idée de rester tout uniment comme ça à l'intérieur des limites ou d'y revenir de façon linéaire alors que le dépassement il ouvre sur des perspectives non linéaires, des trajectoires non linéaires, ça me semble effectivement un petit peu compliqué. Cela étant dit, je parlais d'arbitrage tout à l'heure, on peut envisager la notion de renoncement en lien avec cette question d'arbitrage, de fermeture, etc. C'est l'idée qu'en fait on va de toute manière être appelé à renoncer un certain nombre de choses, qu'on le veuille ou non, et qu'on est très largement pris au démuni quand on a une irruption justement de ces perspectives-là.
Le renoncement fait irruption dans des endroits inattendus
[36:38]
Je disais tout à l'heure qu'il y allait dans le pays de faïence, dans le sud-est de la France, il n'y a plus d'eau, en tout cas pour de nouveaux arrivants, et donc pour maintenir la ressource, les maires de ce pays-là ont décrété qu'ils allaient arrêter la construction neuf pendant cinq ans. Si on sait ce qu'est la construction dans le sud-est de la France, ce que ça représente.
[36:55]
Y compris économiquement et culturellement, on voit que c'est une mesure très importante.
Donc en fait, le renoncement fait irruption dans des endroits parfois inattendus, mais en fait de de manière assez massive et comme on n'est pas prêt parce qu'on a cette culture effectivement comme j'indiquais tout à l'heure de l'addition des nouveaux projets qui vont permettre d'apporter comme ça des réponses à l'avenir, eh bien on est pris au dépourvu.
Alors, ça ne veut pas dire pour autant...
[37:18]
Que j'expliquerais qu'il ne faudrait plus du tout d'invention, de technologie, tout ceci n'aurait pas de sens.
Souvent, dans le cadrage du débat, on a une opposition entre, par exemple, l'efficience et la sobriété.
L'efficience qui pose problème, parce qu'effectivement, souvent on rend efficients des dispositifs qui ne le sont pas, qui ne devraient pas l'être, ou en tout cas, on est confronté à des effets rebonds, c'est-à-dire on fait des économies parce que nos dispositifs sont de plus en plus technologiquement avancés, donc moins coûteux, mais comme ils sont moins coûteux, partout et donc au final on dépense plus que si on n'avait pas effectué d'économie au départ. Et puis on oppose ça à la sobriété en disant bah voilà de l'efficience il faut basculer vers une vraie forme de sobriété. Mais si aujourd'hui on met tout sur les épaules de la sobriété sans en même temps continuer à regarder un petit peu ce qu'on peut gagner en termes d'efficience mais contrôler, effectivement ça veut dire qu'on a une bascule extrêmement brutale et surtout personne ne nous explique dans ces débats là comment on va vers la sobriété. Donc il peut aussi bien y avoir une espèce de solutionnisme technologique qui serait celui de l'efficience, puis une espèce de solutionnisme politique ou autre qui serait celui de la sobriété en disant en fait la solution c'est facile c'est d'aller vers la sobriété, si on ne nous dit pas concrètement comment et par quel moyen, voilà. C'est un truc qui m'a toujours assez marqué, enfin depuis que j'observe ces ces problématiques-là, c'est l'absence de plan.
[38:36]
En fait, il y a beaucoup d'idées, il y a beaucoup de concepts, mais pour l'instant, je n'ai pas vu vraiment un plan concret.
Il y a des tentatives, comme le plan de transformation de l'économie française, et des choses comme ça, mais comment on fait dans un monde ouvert, avec les règles du jeu qui sont ce qu'elles sont, dans le réel, pour passer de là où on est aujourd'hui à quelque chose qui est fondamentalement différent ?
Après, c'est intéressant de poser ces questions-là pour voir comment on crée ça, d'ancrer, de mettre ça dans le débat et d'ancrer ça dans les aides pour que ça puisse avancer, mais c'est vrai que c'est un peu compliqué. Peut-être que tu me permets de rebondir sur ce point-là. Effectivement, ça pose des questions de planification, évidemment, ça pose tout un tas de questions. Une des raisons, il y en a plusieurs pour lesquelles c'est difficile, c'est qu'aujourd'hui, par exemple, je ne sais pas moi, pour des territoires, parce que mon collègue, Emmanuel Bonnet travaille beaucoup là-dessus, mais pour des territoires de montagne qui ont par exemple leur station de ski et qui vivent en partie d'une activité dont ils savent qu'elle va disparaître, aujourd'hui les modèles alternatifs n'existent pas. Si on leur dit votre activité va disparaître demain, le réflexe premier c'est de dire on va basculer sur ce qu'on connaît, c'est-à-dire le tourisme 4 saisons, la diversification, éventuellement l'attractivité, etc. Mais de vrais modèles alternatifs n'existent pas. Et donc toute la difficulté c'est de se.
[39:56]
Mettre à travailler pour entrer dans ces transitions slash redirection alors même que les dispositifs clés en main pour s'engager dans ces transformations n'existent pas. Mais en fait c'est toute la difficulté qu'on a mais qui en même temps une opportunité aussi c'est de se mettre à y travailler mais pour les produire pour les produire aussi parce que ces territoires là sont à l'avant-garde, ce que mes collègues appellent les territoires sentinelles.
Travailler pour produire des solutions concrètes sur le terrain
[40:20]
Où justement ces questions, ces crises, ces politiques se posent.
Et donc ça veut dire qu'on a vraiment un intérêt à y travailler malgré tout, de façon extrêmement concrète, extrêmement pratique, même si on n'a pas forcément un horizon très clair, parce que ça va aussi permettre justement de venir en aide à énormément d'autres territoires qui, quoi qu'il arrive, ou d'autres organisations, vont se retrouver dans la même situation.
Le deuxième point, si tu me permets, et je termine là-dessus, c'est qu'on ne peut pas le faire sans aller sur le terrain.
[40:48]
Ne pas le faire sans aller sur le terrain parce que nous ce qu'on essaye de mettre en avant c'est qu'il faut enquêter sur les attachements des personnes concernées. Les attachements ça veut dire ceux à qui on tient, ceux par qui on est tenu, comme le définit le sociologue Antoine Aignan.
Et comme il le dit également, il n'existe pas de comptabilité permanente des attachements, c'est-à-dire c'est aussi dans l'épreuve qu'on mesure quelle est la nature exactement des attachements. S'il n'y avait pas de confrontation à cette perspective où les stations de ski vont fermer, et bien on pourrait pas forcément mesurer les attachements à ces infrastructures là, à toute la culture, toute l'histoire qu'il y a derrière. Et donc comme c'est dans l'épreuve que ça se passe, on peut pas opérer finalement des arbitrages en dehors de ces situations, en tout cas sans avoir la perspective même de ces situations, on peut pas opérer des arbitrages sans aller enquêter auprès des populations concernées, qui elles-mêmes d'ailleurs sont expertes de ces attachements.
Et donc c'est une autre difficulté, parce qu'on va se contenter non plus de réponses comme ça, qu'ils seraient très macro, très top down, sans aller voir ce qui se passe. C'est un peu ce que proposent les économistes avec l'idée d'actifs échoués, par exemple, il y a des choses dont il faut désinvestir, mais on fait ça sur une feuille de papier, sans forcément aller voir derrière toutes les populations qui sont concernées, et c'est là je dirais que se passe quand même une grosse partie du travail.
Ça m'amène à l'idée de fermeture et de différentes manières de gérer ce dont on ne veut plus.
Et je trouve que tu mets le doigt aussi sur quelque chose qui est un peu en impensée.
[42:14]
Qui est derrière cette idée de renoncement, et aussi il faut être capable d'anticiper, l'idée des héritages.
[42:20]
C'est-à-dire qu'il y a des choses auxquelles on va avoir envie de renoncer parce qu'on se dit qu'elles nous font dépasser des limites, limite, ou dont on pense qu'elles ne sont pas utiles pour faire société, pour notre bonheur, etc. où on ne voit pas vraiment l'utilité, mais dont on va avoir besoin pour gérer un héritage.
[42:37]
Est-ce que tu... et donc c'est pour ça qu'il faut combiner les deux pour essayer d'imaginer quelles vont être les ruines de demain, qu'est-ce qu'on va devoir maintenir comme technologie pour pouvoir gérer quelque chose dont on ne veut plus. C'est-à-dire que ce n'est pas un bouton on off en fait. Est-ce que tu peux développer sur ce concept ? Oui bien sûr, un exemple qui pourrait illustrer très bien c'est l'exemple du débat dans lequel moi je prends pas partie parce que j'ai pas à prendre partie dans ce débat là mais qui est le débat pro ou anti nucléaire.
J'enverse souvent la perspective en disant en fait l'idée c'est pas simplement de choisir une solution, là encore on est dans un biais additif, on a une solution pour l'avenir, on choisit la bonne solution et puis pour certains c'est le nucléaire, pour d'autres c'est plus du tout le nucléaire. La question c'est si on est pro ou anti-nucléaire dans tous les cas on a des problèmes.
Choix entre maintenir ou démanteler les centrales nucléaires
[43:24]
Grosso modo, et donc toute la question qui se pose c'est aussi quels sont les problèmes dont on va hériter qu'on choisit pour l'avenir ?
Est-ce qu'on choisit plus de maintenir des centrales nucléaires avec tout ce que ça engendre, ou alors est-ce qu'on choisit de les démanteler avec tout ce que ça peut engendrer comme autre problème, avec peut-être une résurgence du charbon, etc.
Alors au moment où en même temps, en ce moment, les énergies renouvelables se développent pas mal, mais c'est pas sans aller sans difficulté.
Donc c'est ça aussi, c'est l'idée qu'on pense toujours à se choisir des solutions qui vont faire disparaître les problèmes, alors qu'en fait il faut choisir le problème qui va être le mieux gérable ou traitable à l'avenir effectivement dont on va hériter et on va hériter d'un certain nombre de choses et qu'est-ce qu'on va vouloir piloter à l'avenir ?
Est-ce qu'on va pouvoir piloter des centrales ou d'anciennes centrales ou alors les conséquences d'une bascule hors du nucléaire plus rapide ?
Moi je ne suis pas là pour donner ma réponse mais en tout cas on peut cadrer le problème tout à fait différemment de la manière dont on le cadre habituellement.
Effectivement dans ce cas-là on choisit l'héritage qu'on va laisser demain mais qui ne va pas être un héritage uniquement sémillant, positif mais aussi un héritage négatif et de contrainte, de responsabilité, etc. Donc c'est vrai qu'envisager les choses sous cet angle c'est très très différent de la manière dont on les envisage habituellement.
[44:35]
Et c'est le rôle de qui de penser ça ? Ça se fait à quel niveau ? Parce que tu veux dire que les organisations elles sont prises en enjeu d'exigence du court terme, bien souvent, avec tous les impératifs qui vont avec, l'état aussi d'une certaine manière avec la manière dont les institutions fonctionnent.
C'est peut-être différent, justement, au niveau des territoires, où il peut y avoir les gens habitent là, donc ils ont une préoccupation qui est différente.
À quel niveau ça joue ? Oui, c'est une très bonne question.
Je pense qu'effectivement, il y a une sorte de décrochage de la politique nationale vis-à-vis de ces enjeux de redirection écologique par rapport aux collectivités.
[45:10]
Où en fait ils font éruption de partout.
Et donc on a beaucoup de collectivités qui sont obligées parfois, malgré elles, de se positionner sur ces enjeux-là, alors qu'on ne va pas forcément retrouver la traduction au niveau national.
Et on peut avoir d'ailleurs un débat politique national qui est un peu hors-sol par rapport à d'autres réalités qui débordent un petit peu de partout à d'autres échelles.
Mais très clairement, on manque aujourd'hui d'institutions qui peuvent se faire précisément les relais de ces questions-là.
On a travaillé avec la ville de Grenoble, collègues du Gulandiva, un poignet 3-4 étudiants-étudiantes à des protocoles de renoncement à des infrastructures localement, et bien il n'y avait pas de protocole pour se poser la question de savoir si on renonçait à l'avenir une infrastructure qu'on ne pourra peut-être pas maintenir. Donc là aussi on est obligé de créer de nouvelles institutions, de nouveaux protocoles pour pouvoir adresser ces questions parce qu'il y a un défaut en la matière. Donc après il faut trouver des acteurs qui peuvent s'en faire le relais ou alors accompagner des acteurs de la société civile qui sont déjà dans une démarche consistant à dire attention il y a tout un ensemble de choses qui ne sont pas.
[46:10]
Soutenables, on peut parler des méga-machines tout à l'heure mais il y a aussi des ONG ou des associations qui font condamner l'état pour non-respect de la législation sur par exemple les pollutions de l'air ou tout un tas de choses et qui sont un petit peu des lanceurs d'alerte qui essaient justement d'être dans cette forme d'anticipation parce que de toute manière si on n'anticipe pas, quoi qu'il arrive ces crises vont survenir et on risque d'être dans la situation des Pays-Bas où face à la crise de l'azote, les Pays-Bas ont attendu le plus longtemps possible pour agir, puis finalement ils se retrouvent contraints par des acteurs de la société civile qui les ont attaqués et puis des réglementations européennes. Le gouvernement annonce un plan en 2022 pour 2030 et ce plan aboutit à une réduction de grosso modo 50% du cheptel et à une fermeture partielle ou complète de 60% des exploitations agricoles de ce pays qui est par ailleurs le deuxième exportateur agricole au plan mondial, donc c'est une activité économique centrale pour lui, derrière les Etats-Unis mais pour un équivalent de 0,42% du territoire américain. Donc on imagine à 4.3 c'est de l'agriculture intensive et là on touche coeur économique de ce pays, mais avec des arbitrages qui évidemment ne se font pas dans la douceur, ce qui engendre derrière une réaction politique extrêmement virulente.
Attente d'arbitrages engendre des situations politiques dégradées
[47:22]
Après en plus deux ou trois années de pandémie de Covid, beaucoup de théories du complot ont circulé, ce qui amène à de nouvelles théories du complot face à ces enjeux environnementaux.
Et donc on aboutit à une situation politique qui est très difficilement gérable. C'est ça aussi qui est intéressant, pas uniquement comme un laboratoire de la redirection au sens où tout se passerait bien, mais comme un laboratoire qui montre que plus on va attendre pour faire des arbitrages, parce qu'effectivement, anticiper ou faire des arbitrages à temps, c'est ça aussi qui est compliqué, c'est pas juste le fait de faire des arbitrages, c'est de les faire de façon anticipée pour pas se retrouver acculé, contraint, devant un mur, que ce soit un mur d'ailleurs physique ou un mur juridique, mais si on ne les fait pas, si on attend, et bien on se retrouve dans des situations politiques extrêmement dégradées et dans ce cas-là il est très difficile de faire face. Donc ça aussi c'est un avertissement, y compris cette fois-ci à une échelle macro, à l'échelle d'un pays tout entier, pour les autres gouvernements, mais aussi les collectivités et tous les acteurs qui sont concernés par ces questions-là. Tu as des exemples en France ? Qu'est-ce qu'on.
[48:22]
Devrait commencer à fermer ou ce à quoi on devrait renoncer, que tu vois vraiment clairement tourner mal, entre guillemets, si on ne s'y est pas fait ? Il y a au moins deux exemples que je mentionné, il y a déjà l'exemple des Pays-Bas alertes en France parce que ce qui se passe en.
[48:39]
Bretagne, les zones naturelles de mille, l'azote, les phosphates, ça pourrait évidemment ressembler aux Pays-Bas dans quelques années, dans quelques temps. En tout cas, les Pays-Bas pourraient être un laboratoire qui anticipe sur ce qui va arriver dans certaines régions, en particulier la Bretagne, c'est à regarder de près. Mais je pense aussi à un autre exemple qui est celui du ZAN, du zéro artificialisation nette, là on met des quotas d'artificialisation des sols parce qu'on sait que si on artificialise tout, on va avoir des problèmes, je parlais tout à l'heure justement des sols qu'on détruit qui mettent des milliers d'années finalement à être régénérés, si on détruit les sols c'est notre capacité à subsister tout simplement qu'on détruit donc on inscrit dans la loi des limites, alors c'est du 0 artificialisation net et pas brute mais on inscrit quand même des limites et ce qu'on voit c'est que c'est très très mal vécu par les collectivités précisément parce que ça les amène à basculer d'un modèle de développement qui passe justement par l'aménagement, par la construction, etc. à une économie alternative qui n'existe pas encore, qui n'est pas encore en place. Donc là on est dans l'anticipation, mais du coup c'est très mal vécu et il y a une tentation forte de détricoter le ZAN et nous on travaille par exemple avec des acteurs aujourd'hui dans les collectivités pour montrer qu'on peut vivre entre guillemets un ZAN heureux pour éviter justement ce détricotage parce que c'est une mesure qui n'est même pas encore assez ambitieux sans doute aujourd'hui, mais qui a absolument naissé. On voit bien qu'il y a beaucoup de conflits autour de ces enjeux-là.
[50:01]
Quels sont les types de résistances par rapport à ça ? Je voudrais qu'on aie sur les protocoles de renoncement sur lesquels tu travailles, avec peut-être quelques exemples concrets qui vont permettre d'illustrer le type de résistance. Et aussi, que tu illustres la différence entre protéger, limiter, maintenir, désinvestir, démonter, tu vois, parce que c'est, assez subtil finalement. Oui tout à fait, alors les résistances, paradoxalement j'aurais du mal j'aurais du mal à en parler, ce que je disais tout à l'heure c'est que personne n'avait intérêt à arbitrer, à être celui qui va arbitrer, il y a une difficulté qui est liée à ça. Il peut y avoir des résistances qui sont évidemment liées aux attachements, au fait que si on ne propose pas d'alternative et qu'on a un impératif d'écologisation, ça ne peut pas marcher, ça ne peut pas marcher de façon hors sol, ça ne peut pas marcher en disant que votre activité n'est pas la bonne, elle est polluante, elle est problématique, mais on n'envisage pas finalement la suite, on propose finalement une forme de désattachement, mais sans réattachement derrière. Comme pour le ski par exemple ? Oui, voilà, comme pour le ski, si on allait juste dire aux gens en fait votre activité n'a plus de sens, alors il y a deux possibilités, vous arrêtez et puis la conversation s'arrête là, débrouillez-vous à l'avenir, ça passerait effectivement assez mal, ou alors on vient les voir et on leur dit un petit peu à la mode, des plans de transformation de l'économie qui appellent à ce qu'il y ait beaucoup beaucoup de nouveaux paysans qui s'installent, on leur dit.
Difficulté de proposer des alternatives sans réattachement
[51:24]
C'est pas grave sur ce territoire là ils vont tous devenir paysans et paysannes et là en plus ça peut venir en conflagration j'allais dire presque direct avec des mémoires de gens qui étaient autrefois des ruraux, dont les familles étaient rurales et si on leur dit redevenez paysans alors qu'ils ont connu ce que c'était au début du siècle avant, ce n'est pas du tout une réalité sémillante, là il y a une vraie difficulté. Donc on ne peut pas arriver et dire aux gens voilà ce que vous allez faire sans débat, sans démocratie, sans qu'ils soient impliqués dans justement ces, plans de transformation. Donc là aussi c'est une autre difficulté de surtout pas le faire de façon hors sol. Nous ce qu'on essaie de faire dans notre travail c'est justement de permettre à des acteurs qui voient bien dans un certain nombre de secteurs ces renoncements vont intervenir, l'anthropocène fait irruption, de travailler en fait sur ces questions là, d'anticiper ces transformations et donc d'apporter des réponses avant que ce soit les crises ou les polycrises qui se généralisent parce que de toute façon elles vont survenir. Si on arrive et qu'on est tout nu face à la survenue de ces crises, si on arrive et qu'on a des protocoles, on sait comment agi, on s'est formé, etc. C'est pas du tout la même histoire qu'on raconte derrière.
Donc ça c'est extrêmement important.
[52:27]
Je me reste un peu là-dessus, sur le concret, c'est-à-dire qu'on a l'impression, après je sais que c'est une question d'échelle, mais justement ça va être intéressant de regarder à quelle échelle ça se joue, on a l'impression d'être face à un bulldozer qui continue d'avancer coûte que coûte, je regardais une projection sur la production de plastique qui devrait quadrupler ces 20 prochaines années alors que le truc est déjà saturé, tu imagines les conséquences que ça va avoir puisqu'on continue d'être un peu sur cet exponentiel.
Et j'ai échangé par exemple avec une personne sur LinkedIn qui était venue commenter sur un de mes postes pour qui inévitablement, parce qu'on a des postes notamment sur la décroissance.
[53:03]
Disait mais en fait inévitablement puisqu'on est incapable d'arrêter, il faut continuer d'accélérer, voire même d'accélérer jusqu'à la conquête spatiale, sur une espèce de truc comme ça, c'est notre seul échappatoire parce qu'on ne peut pas renoncer, on ne renoncera pas, soyons réalistes, there is no alternative, il n'y a pas d'alternative, évidemment que personne ne renoncera à cette quête de croissance parce que les structures ne permettent pas, donc autant accélérer.
[53:29]
Et puis on voit aussi plus progressivement, donc tu disais la difficulté pour ne serait-ce que les stations de ski près de chez nous, juste à embrasser le problème, à accepter l'éventualité que d'ici dix ans il puisse manquer de neige, on met encore ça largement sous le tapis un peu partout. Pareil, est-ce qu'on peut arrêter le développement de l'IA, de la 5G, des autoroutes, des projets de déboisement, etc. Je voudrais revenir vraiment sur le concret, où est-ce que ça se passe, par quels biais, quels sont les leviers, est-ce qu'il y a une chance que ça se fasse au niveau mondial, au niveau européen, au niveau national, est-ce que c'est forcément au au niveau d'une mairie. Toi, qu'est-ce que tu vois bouger qui te fait dire que ça va dans le bon sens et que les protocoles sont en train de être mis en place ? Qu'est-ce qui existe dans la loi chez nous ? C'est une très bonne question, une question très difficile. Premier point, je dirais, c'est que les politiques qu'on voit actuellement sont moins des politiques qui vont dans un seul sens. On pourrait dire ça, c'est la continuité du néolibéralisme, ça nous entraîne vers le pire, etc. Et c'est en partie vrai, évidemment. Mais ce qui est encore plus difficile par rapport à ça, c'est qu'en même temps, ce sont des politiques souvent qui sont contradictoires.
[54:47]
C'est-à-dire qu'à la fois, il y a des politiques très anti-écologiques qui sont mises en place, et puis en même temps, on voit sur des tendances plus longues, en lien par exemple avec la stratégie nationale bas carbone, avec des éléments comme ça un peu technocratiques, mais qui pèsent sur le développement des lois à l'avenir, des transformations des réglementation. C'est l'exemple aussi au niveau européen de l'abandon de la commercialisation des moteurs thermiques en 2035-2036, une mesure qui a, un certain impact. Il y a aussi des mesures qui sont prises et donc Donc c'est d'autant plus difficile que tout ça manque de lisibilité.
[55:24]
C'est ça aussi qui fait que les réponses face à ça sont compliquées, parce qu'on peut avoir des restrictions d'un côté, et puis en même temps, l'absence de restrictions de l'autre, dans des perspectives totalement contradictoires, et vis-à-vis desquelles il est difficile de faire sens.
Donc c'est pas seulement que tout va dans un seul sens qui est un sens négatif pour l'environnement, mais que c'est en fait illisible, c'est illisible et du coup on sait pas trop comment se positionner, comment agir.
Ça je dirais que c'est le premier point.
Le second point, c'est qu'effectivement, il faut commencer à expérimenter très concrètement, et on a l'échantillé aujourd'hui pour le faire, beaucoup d'exemples qui l'appellent, des protocoles de, moi j'appelle ça désattachement, mon collègue Diego appelle ça renoncement, protocole de fermeture, on choisit le terme qu'on veut, on a un vocabulaire assez riche en la matière, mais qui permettent justement d'expérimenter sur ces cas très précis, très concrets, mais qui font irruption un petit peu partout.
Le défi de la gestion des infrastructures obsolètes
[56:18]
Il y a matière justement à déployer ça, mais on n'a pas la connaissance, on n'a pas la culture, on n'a pas les savoirs, les savoir-faire pour faire face en fait à ces cas.
Et donc on est obligé de s'outiller très très rapidement. Dans l'exemple que je mentionnais tout à l'heure, dans la ville de Grenoble, concernant des infrastructures, en l'occurrence c'était des piscines municipales, la question qui se posait c'était est-ce que les piscines qui arrivent maintenant, qui deviennent vétustes, elles ont 40-50 ans, est-ce qu'on en construit une nouvelle ?
Mais avec beaucoup plus de services, elles sont plus efficientes, mais du coup elles arrivent suréquipées, donc avec un coût énergétique et environnemental qui est très problématique, et est-ce qu'on aura les moyens de les maintenir pendant les prochaines décennies, voire de les détruire et de les reconstruire dans 40 ou 50 ans ?
[57:00]
La réponse, très presque probablement, est que non. Là aussi, si on suit la stratégie nationale bas carbone, le simple fait même de...
Maintenir toutes les infrastructures existantes, en particulier dans le domaine sportif où c'est, quand même extrêmement développé, n'est pas forcément possible ni envisageable. Donc comment est-ce qu'on arrive collectivement à poser cette question en mettant en avant des enjeux de justice sociale, de justice environnementale, etc., en associant les personnes qui sont concernées, donc les usagers, les usagers, mais aussi les personnes qui vivent par exemple d'infrastructures comme celle-là, donc dans cet exemple il y avait les piscinistes, les chauffagistes, les plombiers, des gens auxquels on ne va pas forcément a priori penser, dont on ne va pas forcément se soucier, mais qui professionnellement vivent aussi de l'existence de ces infrastructures, donc il faut bien savoir qu'ils existent, s'en occuper, leur offrir des perspectives. Donc comment est-ce qu'on arrive à factoriser finalement les attachements divers et variés à ces infrastructures-là.
[57:53]
Comment est-ce qu'on arrive aussi à amener des populations, non pas simplement être consultées pour dire voilà on compte éventuellement y renoncer, on compte les maintenir, mais la décision est prise, maintenant on veut juste au travail comme dans les processus classiques de participation.
[58:04]
Mais vraiment collectivement arriver à délibérer, à enquêter en fait sur ces questions-là. Et donc, ce qui a été mis en place c'est un protocole de renoncement où il y avait une enquête par des citoyens, des citoyennes de la ville pour savoir si oui ou non on allait répondre à cette question par la positive ou par la négative ou apporter d'autres réponses. Donc parmi les réponses alternatives c'était de dire quels sont les attachements fondamentaux, apprendre à savoir nager par exemple pour les populations les plus fragiles économiquement qui ne peuvent pas forcément emmener leurs enfants à la mer en vacances, etc. C'est aussi une question de sécurité qui se joue derrière ça. Est-ce qu'on a forcément besoin d'une infrastructure pour ça ? Ah non, on peut peut-être sécuriser des plans d'eau, se débrouiller autrement, etc. En tout cas, proposer d'autres types de réponses. Ce qui est intéressant là-dessus, juste pour terminer sur ce point-là, c'est qu'au départ, je trouve que les autorités ne voulaient pas que ça s'appelle protocole de renoncement. C'est pensé que les gens n'allaient pas suivre.
[58:54]
Et en fait le résultat de ça c'est que les gens ont suivi. Et donc quand on invente justement des dispositifs qui permettent de travailler proprement sur ces questions, on se rend compte que c'est faisable.
Et à partir du moment où on se rend compte que c'est faisable, et bien plein d'autres acteurs qui sont confrontés soit aux mêmes problèmes avec d'autres infrastructures ou les mêmes, soit sur des questions qui sont relativement proches, se disent en fait ce qui était impensable, c'est-à-dire qu'on allait politiquement sur ces questions-là, devient en fait pensable, actionnable, et donc on crée des précédents qui sont de ce point de vue-là extrêmement importants.
C'est ça qu'on doit faire aussi, créer ses précédents et après monter en échelle. Qu'est-ce qu'on fera de toutes ces ruines ? Si on.
[59:31]
Se projette dans un monde qui va vers une descente énergétique, enfin c'est une hypothèse qui me paraît plutôt crédible, mais qui fait qu'on va pas pouvoir, ou de ressources, qui fait qu'à un moment donné, peut-être à court terme, peut-être à plus long terme, on va pouvoir maintenir toutes ces infrastructures, c'est quoi ça donne un espèce de futur à la Blade Runner avec des ruines qui sont vraiment des ruines et qui se délitent, comment tu vois les choses en fait ? Est-ce que ça deviendra finalement une occupation de bon nombre d'entreprises et ça sera repris par le capitalisme qui en fera quelque chose pour recycler ça ? Ça touche à la question justement du recyclage ? Est-ce que ça peut être un business ? Est-ce que aussi le modèle actuel est capable de s'emparer de ça et d'en faire quelque chose ? Je pense que très clairement, dans étage et fermeture, le précédent livre écrit avec Emmanuel Bonnet et Diego Landivar, dans le chapitre de Diego, il revenait sur le fait qu'il y avait déjà des modalités de fermeture qui étaient celles du.
[1:00:39]
Capitalisme. Il n'a pas attendu pour démanteler, il n'a pas attendu pour avoir déjà ses propres modalité de fermeture.
Ce qui est un petit peu différent dans ce dont on parle aujourd'hui, c'est que ce sont des fermetures, des démantèlements, des renoncements qui sont motivés pour des questions de viabilité.
Il y a quelque chose qui n'est plus viable au plan environnemental, il faut y renoncer.
Et justement, ici, je pense qu'il ne faut pas du tout être naïf en se disant qu'on a forcément un coup d'avance sur le capitalisme ou disons plus largement le business as usual.
[1:01:09]
Je crois qu'on a souvent un coup de retard en fait, pour ne pas se leurrer, y compris quand on est théoricien, penser qu'on est à l'avant-garde de tout.
Décrit aussi des phénomènes, on est un peu à la traîne, on essaie de comprendre ce qui se passe, et d'ores et déjà il y a effectivement des gens qui théorisent que la fermeture peut devenir un nouveau paradigme du capitalisme, il ne faut pas du tout se cacher derrière son petit toit en disant non non c'est pas possible, c'est pas envisageable, je pense qu'effectivement il va y avoir un conflit politique autour de la définition de ce qui est viable ou de ce qui ne l'est pas. Je prends un.
[1:01:37]
Exemple dans le livre, je reprends celui d'une chercheuse, Kasia Patrocki, sur les côtes du Bangladesh, où on a une économiste qui dit ben non il faut évacuer les côtes du Bangladesh parce que ça va être inondé demain par le réchauffement climatique, la montée des eaux, et donc il faut abandonner l'agriculture sur les côtes. Et puis des gens qui expliquent, mais en fait non, des paysans qui essaient de produire d'une autre expertise avec des associations, des chercheurs, etc., qui ne le met pas du tout. En fait, le vrai problème, ce n'est pas une cause globale qu'est le réchauffement climatique, la montée des eaux, ce sont les activités anthropiques qu'on y fait, la culture de la crevette, tout un tas de choses qui effectivement contribuent à l'érosion de ces territoires, ils disent voilà si on construit des canaux, si on fait ceci ou cela, on va pouvoir pérenniser cette forme d'agriculture, il n'y aura pas besoin de la fermer. Donc de plus en plus je pense qu'il va y avoir des conflits effectivement autour la définition de ce qui est viable et de de ce qu'il n'est pas.
Et des trajectoires qu'on va donner à un certain nombre de réalités.
Donc la fermeture en elle-même n'échappe pas forcément par définition à l'emprise du capitaliste, c'est là où on a besoin de repolitiser la question, et c'est un petit peu le sens aussi de mon livre, c'est le premier point.
Et donc, le deuxième point là-dessus, c'est qu'effectivement, des ruines, des friches, des éléments comme ça, peuvent tout à fait donner lieu à des reprises sont des reprises capitalistiques ou du business de jeu. On parle beaucoup des friches aujourd'hui.
L'opportunité de développer à partir des friches immobilières
[1:02:58]
Mais une friche pour un promoteur immobilier ça peut être une opportunité folle. Donc il y a un enjeu aussi à se positionner pour interrompre ce cycle destruction-création, mais aussi dévaluation-revaluation. Je parle un petit peu dans le livre, d'évaluer quelque chose, en faire une friche, laisser une ruine derrière soi, ça peut être tout à fait une nouvelle opportunité de développement. Et donc la question c'est pas uniquement de penser ces ruines là, c'est de penser l'interruption finalement d'un cycle de développement, d'un cycle de revaluation et quels finalement qu'elles sont les garde-fous qu'on met en place pour opérer cette interruption.
Je pense notamment à la question là de rétrofit, de la rénovation des bâtiments. Si on ne repense pas l'économie plus générale de l'immobilier, sa financiarisation, on aura des prises effectivement pour basculer vers une économie qui puisse être de la construction mais de la maintenance et de la réhabilitation, mais on est quand même pris dans une logique de financiarisation qu'il va falloir aussi arriver à démanteler d'une manière ou d'une autre pour éviter d'être dans cette relance perpétuelle. Donc là effectivement ce sont des chantiers extrêmement urgences auxquels il faut se coller très concrètement. Malheureusement, on n'est pas assez à y travailler encore.
[1:04:11]
Qu'est-ce qui t'inquiète le plus et dont on ne parle pas assez ?
Et au contraire, qu'est-ce qui te booste, qu'est-ce qui donne de l'énergie positive ?
Alors ce qui m'inquiète à titre personnel, ce sont certaines tendances, alors c'est évident le business as usual, ce sont toutes les destructions qu'on voit, mais ce dont on parle peut-être un petit peu moins, et moi étant un peu dans ces milieux-là, c'est des choses qui peuvent m'inquiéter, c'est comment des formes de subversion peuvent aussi déboucher sur des positions parfois réactionnaire. C'est aussi un des enjeux du livre, d'essayer de proposer une boussole qui ne soit pas réactionnaire. On parle de plus en plus aujourd'hui d'écofascisme. Il y a un livre d'Antoine Dubiau qui est sorti l'année dernière, il y a un livre de Pierre Madelin qui est, sorti cette année. Donc il y a une tentation écofasciste qui peut exister, il y a une tentation réactionnaire aussi qui peut exister par ailleurs. Et donc moi, mon souci, c'est effectivement de proposer une boussole qui soit rétive à ce type de tentation de récupération.
C'est qu'on ne défend pas l'environnement, mais ça ne peut pas forcément dire grand chose, mais au nom de positions réactionnaires qui peuvent mobiliser mais qui me semblent problématiques sur le long.
[1:05:17]
Terme. Donc arriver à proposer des positions qui soient clean si je puis dire de ce point de vue là, ce qui n'est pas du tout aussi simple qu'on peut le penser je crois. Il faut se préoccuper d'abord de son camp avant même de se préoccuper de ce qui se passe ailleurs, donc c'est aussi pour ça que j'ai ce souci là, même si évidemment les destructions sont nombreuses et elles sont majoritairement le fait du business as usual, il n'y a aucun débat là-dessus. Le point qui me donne de l'espoir, je dirais que moi j'ai cette petite phrase que je sors souvent qui est que sans doute que les choses ne vont pas assez vite, mais elles vont malgré tout plus vite qu'on ne le pense.
Les avancées surprenantes vers un nouveau paradigme pour l'avenir
[1:05:53]
Si on reprend les débats il y a cinq ans et les débats qu'on a aujourd'hui ou les perspectives politiquement qu'on arrive à ouvrir aujourd'hui, on se rend compte quand même qu'il y a un hiatus.
[1:06:02]
Très grand entre les deux et qu'aujourd'hui parler du fait d'une manque d'avenir de l'aviation, parler de fermer tel ou tel pan d'activité, etc. n'est plus du tout tabou. Au contraire, maintenant on est plutôt dans le comment. Comment on fait concrètement ? Et souvent, on a des acteurs d'ailleurs qui opèrent cette bascule. La difficulté c'est qu'une fois qu'ils ont pris cette bascule, ils se disent ah bah oui il va falloir rediriger, il va falloir basculer, il va falloir bifurquer, il va falloir faire tout ce qu'on veut. La question suivante qu'ils posent c'est mais quel est votre modèle ? Est-ce que vous avez le modèle clé en main pour le faire ? La réponse est non, mais en même temps on y travaille et c'est vrai qu'on va pas réussir à le faire, à le proposer à partir d'un seul domaine précis, il n'y a aucun exemple, on arrive à bien tirer le fil comme il faut. Par contre justement si on regarde ce qui se passe dans plein de domaines différents qu'on avait expérimenté, différents protocoles, outils, perspectives dans ces domaines là, on va réussir à reconstruire quelque chose de viable pour l'avenir. C'est pour ça qu'on est obligé aussi de mettre en relation finalement tous ces lieux, ces organisations sentinelles, ces crises sentinelles aussi, où l'anthropocène fait irruption. On arrive aussi à construire de nouveaux savoirs, de nouveaux dispositifs pour y faire face, et arriver, quels que soient les domaines, parce que ça peut intervenir dans des domaines très différents comme j'ai indiqué tout à l'heure, à reconstruire ce que serait une redirection en bonne et due forme pour en faire finalement un nouveau paradigme pour l'avenir.
"Où atterrir ?" de Bruno Latour : Une boussole pour le temps présent
[1:07:24]
Pour finir, deux livres à lire absolument, ou deux œuvres d'art à fréquenter ?
Alors, le premier livre, je dirais, même si ça peut être un peu critique vis-à-vis de certains points, mais c'est quand même le livre que je trouve très intéressant de Bruno Latour, Où atterrir ? qui propose une boussole pour le temps présent, qui me semble un très bon point de départ pour envisager un petit peu la situation à laquelle on est.
Vous avez vu, il faut ajouter des choses, il faut le reprendre, le discuter.
Ce n'est pas un totem, mais c'est un petit livre qui suscite beaucoup de réflexion.
Alors pour le coup ensuite un livre plus reboratif qui est le livre de Dipesh Chakrabarty, l'historien indien que je mentionnais tout à l'heure, qui s'intitule alors traduction de petite français est abominable, c'est pas très grave, « Après le changement climatique, pensez l'histoire » qui est sorti cette année en janvier dernier aux éditions Gallimard et qui est vraiment un excellent livre, je saurais trop le conseiller, pour arriver justement à penser l'anthropocène vis-à-vis du capitalocène, penser la dimension planétaire de nos problèmes, c'est-à-dire justement quand les échelles de temps de la politique classique sont bousculées, qu'on est sur des échelles de temps beaucoup plus longues, qu'on se retrouve un peu démuni. C'est vraiment un très grand livre que je conseille à tout le monde.