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#140. Performance, turbulences et robustesse - OLIVIER HAMANT

Pourquoi la quête de performance crée une époque de turbulences ? Comment s'inspirer de la robustesse du vivant pour construire des systèmes plus durables ?





"La nature menacée devient menaçante : notre excès de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Il va maintenant falloir vivre dans un monde fluctuant, c'est-à-dire inventer la civilisation de la robustesse, contre la performance."

Olivier Hamant est chercheur INRAE à l’Ecole normale supérieure de Lyon, directeur de l’Institut Michel-Serres, est biologiste et auteur.


Olivier Hamant plaide pour un passage culturel de la performance à la robustesse, en soulignant l'importance de la redondance, de la coopération et de la résilience face aux événements climatiques extrêmes. La discussion met en évidence la nécessité de décentraliser les villes, de diversifier les sources d'énergie, et de développer des infrastructures résilientes. L'agroécologie et des modèles éducatifs et de santé mentale coopératifs sont proposés comme solutions pour un avenir durable. L'accent est mis sur la robustesse individuelle et communautaire à travers des réseaux interconnectés et multiples formes de résilience.


Interview enregistrée le 30 mai 2024



Livre d'Olivier Hamant

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Transcript


Julien: bonjour Olivier.

Olivier: Bonjour Julien.

Julien: Alors, ben pour commencer, est-ce que tu peux simplement me raconter ce que tu fais, te présenter brièvement, quelle ton occupation, quel est ton sujet, en fait, de prédilection

Olivier: Alors moi je suis chercheur, je travaille dans un laboratoire de biologie végétale et je travaille sur la forme des plantes, le développement des plantes. Donc les questions qu'on se pose par exemple c'est pourquoi les feuilles sont plates, comment elles arrivent à être plates, comment une plante arrive à faire des fleurs qui ont toutes la même forme, des choses comme ça.

Donc ça c'est pour ma partie recherche et puis j'ai une autre activité qui est au sein de l'Institut Michel Serres, d'étudier le lien entre l'humanité et la nature. Donc c'est des grandes questions très interdisciplinaires et donc ça c'est quelque chose qui m'anime aussi de plus en plus pour parler de performance et de robustesse notamment.

Julien: Ok, on va parler de ça, mais c'est intéressant de voir que ton point de départ, effectivement, c'est de remarquer ce qui se passe dans le monde vivant pour après essayer d'extrapoler, d'en tirer des lois, et fait qu'après, parler d'économie, on va parler des systèmes complexes, on va parler de toutes ces choses-là.

Alors, moi, j'ai appelé ce podcast « Sismique », faire référence notamment aux secousses de l'époque et au fait que sous la surface, il y a un potentiel d'instabilité qu'on ne voit pas dans les zones sismiques, tout va bien jusqu'au jour. Où il y a quelque chose qui se déclenche alors qu'en fait, maintenant on sait qu'il y avait un potentiel qui était là depuis longtemps et qu'il y a des choses qui s'accumulent, etc.

Donc on va parler de l'époque, on va parler de ce parallèle qu'on peut faire justement entre stabilité, instabilité et puis structure profonde. Alors d'abord, comment est-ce qu'on pourrait définir cette époque ? Comment est-ce que toi tu définis cette époque particulière et qu'est-ce qui la caractérise

C'est évidemment beaucoup trop large pour la définir, mais quelle est l'angle que tu prends toi

Olivier: Moi, à mon angle, c'est exactement ça. C'est le monde fluctuant. Si on lit les rapports scientifiques du GIEC, de l'IPBES, de l'OCDE, de la CIA, du Forum économique mondial, tous ces rapports scientifiques de plein de disciplines différentes, ils disent tous la même chose. C'est qu'on rentre dans un monde qui devient très turbulent.

C'est l'époque des méga-feux, des méga-inondations, l'époque des remous sociaux, des crises géopolitiques. Et en fait, ce n'est pas une tendance, c'est général. C'est-à-dire qu'on est en train de quitter le monde de la moyenne pour entrer dans le monde de l'écart-type. C'est ce que je dis souvent. Et ça, c'est un vrai changement de civilisation, parce que ça fait 10 000 ans, finalement, depuis les néolithiques, qu'on est dans le contrôle.

Et là, on se rend compte que notre excès de contrôle nous a fait perdre le contrôle. Et donc, il va falloir vivre en lâchant prise. Et donc, ça, c'est très nouveau.

Julien: Tu peux revenir sur le moyen écart-type, je pense que ce n'est pas extrêmement clair. Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi on était dans un monde de moyenne et pourquoi ça va être intéressant de changer de point de vue par rapport à ça

Olivier: C'est vrai, parce que ça, c'est un peu les termes mathématiques. En fait, la moyenne, ça veut dire qu'on se focalise sur la tendance moyenne. Quelle est la température moyenne dans une journée ? Je ne sais pas, peut-être que c'est 20 degrés ou 15 degrés, la température moyenne d'une journée. Mais sauf que le matin, il peut faire 5 degrés et en milieu d'après-midi, il peut faire 30 degrés.

Ça, c'est l'écart-type. La différence entre 5 et 30 degrés, c'est une façon de mesurer l'écart à la moyenne. Dans un monde qui s'occupe de la moyenne, finalement, on peut prévoir. C'est qu'on peut dire, demain, il fera encore 15 degrés en moyenne. Demain, il fera encore 16 degrés en moyenne. On peut faire une trajectoire.

Dans un monde qui devient très fluctuant, où c'est les variations qui dominent, ce qu'on a prévu pour la fin de journée, ça peut arriver le matin. D'un seul coup, de façon imprévisible. Si je le dis plus brutalement, dans un monde fluctuant, turbulent, dans le monde de l'écart-type, le long terme n'existe plus.

C'est-à-dire que ce qu'on avait prévu pour 2100, ça peut arriver cette année. L'exemple typique, c'est en 2021, dans l'ouest canadien, il a fait 50 degrés. 50 degrés, c'est plus 15 degrés par rapport à un été canadien. Ça, c'était ce qui était prévu en 2100, c'est arrivé en 2021. Un autre exemple, c'est le Pakistan, en 2022, le pays s'est transformé en rivière, quasiment.

Les images satellites, le pays devient tout bleu. Ça, c'est pareil, des inondations de cette taille-là, c'est ce qu'on prévoyait pour 2100, ça arrive en 2022. Ça veut dire qu'en fait, on ne peut plus se dire qu'il va y avoir une trajectoire de réchauffement comme ça, un peu douce. C'est non, on rentre dans un monde qui va tanguer comme ça.

Et donc, on peut avoir des événements extrêmes rapidement. Et donc, c'est extrême sur le plan climatique, mais c'est évidemment extrême. C'est extrême sur tous les autres plans, social, géopolitique, égale.

Julien: Je voudrais qu'on sorte un petit peu justement de cet aspect climatique pour regarder où est-ce que tu vois ces fluctuations extrêmes, et aussi se rendre compte peut-être d'une forme d'époque de stabilité qu'on avait pu ressentir, en tout cas qu'on avait pu avoir, et puis la relativiser. Parce qu'il y a des gens qui vont te dire forcément qu'en fait, il y a eu des événements extrêmes tout au long du XXe siècle, il y a eu deux guerres mondiales,

Pour ne parler que de celle-ci, puis que localement, pareil, en fait, il y a des fluctuations soudaines, et que quelque part, c'est presque comme ça que fonctionne l'histoire. C'est tout d'un coup, brutalement, il y a quelque chose qui change, en tout cas, c'est ce qu'on retient dans les livres. Donc pourquoi ce serait différent aujourd'hui

Est-ce qu'on est effectivement dans un monde stable ? Voilà.

Olivier: Absolument, j'entends très bien la critique. En effet, le monde est tout le temps instable. La différence, c'est qu'aujourd'hui, il est instable sur le plan global. Avant, il y avait des instabilités locales Là, on peut envoyer à Diamond Sur l'effondrement, les mayas On a eu des moments de rupture brutale dans l'histoire Mais ça a toujours été local Ce qui change dans l'anthropocène Dans notre époque dominée par l'humain C'est que toutes nos activités deviennent très globales L'exemple typique, même si c'est très anecdotique Le CO2, la crise climatique Ça, ça va impacter tout le monde Différemment, mais c'est la planète entière qui accumule du CO2 C'est pareil pour les pollutions plastiques Il n'y a plus d'eau sans plastique sur Terre Aujourd'hui Ça, ça va impacter tout le monde Y compris les animaux qu'on ne connaît pas aujourd'hui C'est juste pour dire à quel point c'est global C'est ça qui change On pourrait dire que notre époque C'est l'époque des rétroactions planétaires Avant, il y avait des rétroactions locales Et donc on avait des fluctuations locales Mais globalement, on était dans un milieu assez stable, c'est-à-dire qu'on pouvait dire qu'il y avait des variations climatiques qui changeaient tous les 500 ans, tous les 1000 ans.

Là, on accélère à une vitesse qui est incroyable. C'est cette dynamique-là qui est différente et qui va faire des instabilités nettement plus fortes qu'avant.

Julien: Et ce qui veut dire aussi qu'il n'y a nulle part où aller c'est à dire que vous pouvez imaginer même si c'était très concrètement compliqué pour une personne qui vivait en Europe par exemple de se dire ok il y a des problèmes en Europe donc je vais aller en Asie ça ne se passait quasiment pas c'est à dire que ça s'arrête avec des fluctuations à un endroit qui n'était pas à un autre et donc c'était pas un ensemble d'instabilité donc la grande différence c'est qu'aujourd'hui tout est global en fait et c'est vrai aussi pour l'économie oui

Olivier: quand on voit les grandes inondations qu'il y a eu en 2021 en Allemagne et en Belgique, c'était des images qu'on était habitué à voir dans les pays du Sud. On les a vus en pleine Europe. Le monde fluctuant, c'est vraiment ça. Mais après, la question à se poser, ce n'est pas forcément où est-ce qu'il faut habiter pour ne pas faire face aux fluctuations, parce qu'on va tous et toutes faire face aux fluctuations.

C'est plutôt inventer le monde social, socio-économique, qui va avec les fluctuations. Comment on vit dans un monde fluctuant ? C'est plutôt ça la question qu'il faut se poser.

Julien: là qu'on va revenir aussi aux stratégies du vivant. Je voudrais rester sur les causes. Comment on arrive à cette accélération du monde, à cette forme de fluctuation ? Et notamment, toi, tu parles dans tes conférences du concept de performance et en disant que c'est cette recherche de performance qui fait qu'on crée de l'instabilité partout.

Est-ce que tu peux expliquer pourquoi ? Parce que ça ne paraît pas évident, forcément.

Olivier: Moi je suis convaincu qu'on ne peut pas questionner notre monde, en tout cas on ne peut pas l'habiter sans questionner la performance, donc il faut peut-être que je la définisse d'abord. La performance, c'est la somme de l'efficacité et de l'efficience, efficacité atteindre son objectif, efficience avec le moins de moyens possible.

Donc ça c'est la définition du contrôleur de gestion, donc c'est la plus répandue, et donc quand on est performant, on atteint son objectif avec le moins de moyens possible. Et bien ça fait 10 000 ans. Qu'on est en roue libre avec un progrès qui est guidé par des gains de performance. Et ça c'est très problématique, parce que la performance, ça cristallise une façon de voir le monde de façon très étroite.

Parce que l'efficacité c'est atteindre son objectif, donc ça veut dire que, ça c'est l'adagéne, celui qui atteint son objectif a raté tous les autres, donc on oublie qu'il y en a plein d'autres possibles, des objectifs, et efficience avec le moins de moyens possibles. Donc ça veut dire qu'on se canalise en pensant qu'on fait la meilleure chose, parce qu'on va même mettre ça sous l'ongle de la sobriété.

Alors qu'en fait non, on est en train de se canaliser et de se fragiliser. La performance, elle a de nombreux défauts. C'est une vision réductionniste du monde. On a réduit la complexité du monde à une voie étroite. Et quand on prend cette voie étroite, ça marche très bien quand le monde est stable et abondant en ressources.

C'est ce que font les parasites, typiquement. Ils sont très performants, ils ont une voie étroite. Mais quand le monde change tout le temps, c'est suicidaire, très clairement. Donc il faut vraiment dérailler du monde de la performance. 

Julien: développer un peu plus pour donner des exemples de comment ça se matérialise, soit dans nos systèmes sociétaux, soit à l'échelle de la mondialisation ? Parce que ce n'est pas forcément évident de se rendre compte de ce que ça veut dire.

Olivier: Oui, typiquement. Mon exemple favori, c'est le canal de Suez. Vieil exemple historique où on augmente la performance du transport maritime international. Et puis, on s'est rendu compte dernièrement qu'il suffit qu'il y ait un bateau qui se mette en biais et d'un seul coup, ça bloque tout le transport maritime international.

C'est 12% du transport maritime international, donc c'est quand même énorme. Et d'un seul coup, l'Europe se rend compte qu'elle dépend de la Chine et de l'Inde pour des produits vitaux comme les médicaments. Ça, c'est une fragilité. Et en fait, on n'a vu que le gain financier à faire un transport comme ça plus court.

Et on n'a pas vu que ça créait des nouveaux besoins, qu'on s'était habitué à ce niveau de performance et que maintenant, quand ça se bloque... On voit que c'est hyper fragile, mais il y en a plein d'autres, les hôpitaux, ces dernières années, on les a optimisés, on a augmenté leur performance, c'est-à-dire qu'on a réduit le nombre de lits qui fonctionnent à plus haut rendement, et puis il y a eu la crise Covid, et là, d'un seul coup, on s'est rendu compte que ces hôpitaux n'avaient aucune marge de manœuvre.

Il y avait très

Julien: l'idée du flux tendu.

Olivier: le flux tendu, le zéro stock, etc. Ça c'est du catéchisme performant, il va falloir en sortir.

Julien: Le toyotisme, c'est poussé à son extrême niveau industriel où effectivement il n'y a plus de stock, tout est en flux tendu. Mais on pourrait répondre à ça que malgré tout, on a l'impression que le système ne craque pas. Puisqu'on a bien vu aussi pendant le Covid où on s'est dit que, d'ailleurs on les a traités un peu d'oiseaux de malheur, on s'est dit qu'on n'a plus à avoir à manger, il n'y a plus à avoir de ressources.

Ou même quand on a un événement comme ça au canal de Suez, il y a une complexité qui a été créée, et qu'aussi, que malgré tout, on a l'impression d'une forme de résilience, parce qu'on va pouvoir prendre d'autres routes, parce qu'il n'y a pas que ce canal, parce qu'il y a plein de manières de transporter les choses, de transporter l'information.

Donc est-ce que ce n'est pas un contre-argument qu'on pourrait opposer à ça en se disant, en fait ça tient

Olivier: Oui, ça tient toujours, mais justement parce qu'on n'est pas arrivé à 100% de performance. C'est qu'en fait, on est en train de prendre la voie où on va vers la performance. On a encore un peu de robustesse. Il faut que je la définisse aussi, la robustesse. La robustesse, c'est maintenir le système stable malgré les fluctuations.

Juste pour qu'on soit d'accord. Et donc, en fait, quand on a des plans A, des plans B, des plans C, c'est plus robuste, évidemment, parce qu'on a des redondances et donc on peut gérer des fluctuations. En effet, le transport maritime international, 100% ne passe pas par le canal de Suez. Parce que là, du coup, ce serait vraiment mortel.

Mais ce n'est pas pour ça que... En fait, on est quand même dans une voie où on veut... Optimisé encore plus c'est plutôt ça, c'est plutôt un garde-fou dans un monde qui devient très fluctuant cette voie d'augmenter les performances ça va être de moins en moins adapté il va falloir penser autre chose, en fait ce qu'on pense comme des contre-performances aujourd'hui ça peut être valorisé comme des voies alternatives qui nous permettent d'habiter un monde fluctuant exactement

Julien: Alors pourquoi, restons un peu là-dessus, pourquoi optimiser fragilise ? Est-ce que c'est une loi des systèmes complexes, en fait, qu'on observe un peu partout ? Est-ce que c'est empirique et qu'on se dit que, finalement, l'exemple du canal de Suez, ça peut être pris, mais ça ne fonctionne pas tout le temps

C'est là, ça dépend de la manière dont on le fait. qu'il y a des choses dont on a déjà parlé dans ce podcast, comme les effets rebonds, le paradoxe de Jevon, ce qui fait que systématiquement, à chaque fois qu'on optimise, en fait, on ne résout pas un problème ? Qu'est-ce que tu peux nous développer là-dessus pour qu'on se dise que ce n'est pas juste anecdotique

Olivier: Oui, exactement. Je vais rebondir sur l'effet rebond. En effet, c'est un des arguments. L'effet rebond, c'est dire qu'on va augmenter l'efficience énergétique d'un frigo, on va le rendre moins énergivore. On va dire qu'on fait la bonne chose, on fait de l'optimisation, on augmente les performances dans le sens où on augmente l'efficience énergétique.

Ce que ça fait, c'est qu'à court terme, ça réduit la consommation énergétique. On peut dire que c'est de la performance vertueuse. Mais quand on a des frigos qui coûtent moins cher, qui consomment moins d'énergie, ils deviennent plus attractifs. Ils créent des nouveaux besoins et du coup, on les multiplie, on les refait grossir, on les rend connectés, on fait des cabavins.

Et à la fin, la population de frigos consomme plus d'énergie. C'est vrai pour les frigos, c'est vrai pour tout. Pour la lessive concentrée, c'est très générique, c'est très systémique. Dès qu'on fait des gains d'efficience énergétique dans un cadre réducteur, réductionniste, obsédé par la performance, en fait, ça fait des effets rebonds à tous les coups.

Et ça, c'est très vicieux parce qu'on ne s'en rend pas compte. On a l'impression d'aller dans la bonne direction, de faire de l'optimisation, de faire de la sobriété même, alors qu'en fait, on est en train d'alimenter l'épuisement des ressources. Il y a un autre argument, il n'y a pas que l'effet rebond, il y a aussi l'évaluation de la performance.

Ça, c'est la fameuse loi de Goudart qui dit « quand une mesure devient une cible, elle cesse d'être fiable

Ça, ça veut dire que tout indicateur de performance est toxique. Et ça, ça se voit partout. Alors moi, je suis chercheur, je peux en parler dans mon domaine. Nous, dans la recherche, on publie nos travaux dans des journaux à facteur d'impact, qui sont aussi des indicateurs de performance. Et bien ça, ça pousse à trop publier, à publier trop vite, voire même à faire de la fraude et à faire de la recherche de plus en plus incrémentale, qui est de moins en moins disruptif.

Ça, ça a été très bien démontré. Je renvoie à Park et Tal, 2023, dans Nature, qui le montre très bien. On voit que dans les années 50, il y avait moins de publications, mais qui faisaient des sauts plus importants dans chaque domaine. Et aujourd'hui, on publie énormément, mais c'est des petites briquettes supplémentaires, l'essentiel de ce qui est publié.

C'est vrai en recherche, mais c'est vrai partout. Les KPI dans l'industrie, le sport de compétition qui pousse au dopage, il y en a partout.

Julien: Je regardais aussi dans les logiciels il y a la loi de Moore qui fait qu'on va toujours pouvoir développer plus mais il y a une autre loi dans le nom de mes jabs qui fait que le devient de moins en moins performant comme une espèce d'effet rebond en mesure qu'on a plus de puissance il y a des choses comme ça, le nombre est en rage Je le mettrai en note.

Et donc, quel est le lien que toi, tu fais entre cette quête de toujours plus de performance, toujours plus d'optimisation et là, le dépassement aussi des limites planétaires ? Puisque pareil, ce n'est pas évident. Parce que dire qu'on va optimiser, qu'on va finalement, in fine, arriver à créer des systèmes de plus en plus optimum qui vont donc intuitivement consommer moins d'énergie.

Mais voilà pourquoi ça, finalement, c'est une impasse empiriquement quand on regarde.

Olivier: Ouais, alors c'est...

Julien: cette quête de la performance et la crise aussi socio-écologique, comme on pourrait l'appeler

Olivier: Oui, absolument. Pour moi, un mot-clé, c'est le mot « burn-out ». C'est qu'en fait, notre performance induit le burn-out des humains. Et ça, on le voit très bien, c'est l'épidémie actuelle quand même. Il y a une épidémie de burn-out dans tous les secteurs. Et qui est aussi en parallèle avec une épidémie de burn-out des écosystèmes.

Donc le burn-out, il est partout. C'est qu'en fait, notre performance, elle a un coût. On épuise les humains et on épuise les écosystèmes. On est en train de déstocker toutes les ressources naturelles et aussi de déstocker les ressources humaines, j'en pourrais le dire comme ça. En fait, c'est en parallèle.

Cette performance a un coût énorme. En fait, ça s'alimente. Les deux s'alimentent. Je ne sais pas si je suis très clair.

Julien: Je ne sais pas si tu veux donner d'autres exemples pour voir justement à quel point c'est lié. C'est intéressant aussi de parler de systémie et de voir comment ce n'est pas simplement les sociétés humaines qu'on peut observer ça dans d'autres systèmes. Il y a presque un phénomène physique où à partir du moment où on va chercher plus de performances, on est obligé de faire des arbitrages avec d'autres choses, c'est ça

Olivier: Oui, c'est ça. Il y a le côté vision très étroite du monde. Du coup, on va trouver une solution à court terme sans se rendre compte qu'on est en train de dégrader notre habitat et de menacer la civilisation humaine dans la durée. Peut-être pour donner un exemple qui vaut ce qu'il vaut, mais c'est la révolution en Syrie en 2011, qui est une révolution, un remous social qui devient un remous géopolitique.

Si on va dans les causes, il y en a plusieurs, mais une des causes, c'est la sécheresse dans le début des années 2000 en Syrie et aussi des objectifs d'augmenter les rendements agricoles dans le nord-est de la Syrie. Pile au moment où il y avait des grandes sécheresses. Ça, ça a fait fuir les gens des campagnes, parce que là, il y avait un problème.

On arrivait à une limite physique, finalement. Et du coup, on a des gens qui viennent des campagnes dans les villes, qui sont mécontents, qui commencent une révolution. Après, on a vu la suite. En fait, tout se parle. C'est ça, la révolution actuelle, c'est que maintenant, notre lien aux ressources devient visible.

Julien: Comment tu l'expliques, toi, historiquement, cette quête de toujours plus de performances ? Est-ce qu'il y a à un moment donné un déclencheur ou une mécanique qui arrive et qui fait qu'on commence un mouvement duquel on n'arrive plus à sortir ? Pourquoi on est dans cette optimisation de la performance qui n'est pas nouvelle, mais qui s'accélère aujourd'hui

Olivier: Pour moi, il y a un point clé, quand même, c'est le néolithique. Il faut remonter assez loin. C'est il y a 10 000 ans, quand les humains commencent à domestiquer la nature. En gros, avant le néolithique, les humains sont des chasseurs, cueilleurs, collecteurs. Donc ils vivent avec les fluctuations du monde. Et puis, il y a 10 000 ans, ils commencent à s'installer, à se sédentariser et à prendre le contrôle de la nature.

Donc à domestiquer, augmenter les rendements. Et à partir de là, on a créé des environnements qui sont abondants en ressources. Évidemment, c'était ça l'enjeu de l'agriculture, c'est de pouvoir faire des stocks, d'avoir des aliments. Alors quand on est dans un milieu abondant en ressources, ça c'est une loi biologique très très générale.

Quand il y a de l'abondance, ça stimule la compétition. C'est quand il y a pénurie que les êtres vivants basculent dans la coopération. Donc quand on fait des environnements abondants en ressources... On stimule la compétition. C'est un peu contre-intuitif, parce qu'on pourrait se dire justement, c'est quand il y a des pénuries qu'il y a la guerre.

Non, c'est l'inverse. C'est quand il y a de l'abondance qu'on dissipe les ressources. Ça, c'est Georges Bataille, la part maudite, qui le dit très bien. Les êtres vivants, en général, et donc les êtres humains aussi, ont beaucoup de mal avec l'abondance. C'est quand il y a l'abondance qu'on fait de la compétition.

Et donc, quand on fait de la compétition, ça nourrit encore plus de performances. C'est un appel à être encore plus performant. C'est pendant les guerres qu'on augmente les performances technologiques, les performances des moteurs, des avions, tout ça. C'est pendant les guerres qu'on augmente tout ça. Donc, performance s'alimente elle-même, alimente la compétition.

Et donc, les deux, ça alimente une violence. Violence contre les humains et contre les écosystèmes. Donc, pour moi, je mettrais la graine dans le néolithique. Et après, il y a eu plusieurs étapes. Évidemment, il y en a eu plein, mais quelques Peut-être deux autres points clés, la renaissance, c'est le moment où les humains se reconnectent, c'est Christophe Colomb qui découvre l'Amérique, c'est les premières colonisations, les premières plantations, c'est là où on va expérimenter un modèle propriétaire des ressources généralisées sur la planète, et puis évidemment il y a la révolution industrielle qui va mécaniser tout ça.

Depuis 1950, c'est exponentiel parce que c'est là où on exploite le pétrole de façon débridée. A chaque fois, c'est l'abondance de ressources qui induit la compétition, la compétition qui induit la violence.

Julien: Et comment Le numérique s'inscrit là-dedans parce que depuis la révolution numérique, il y a une augmentation énorme de la puissance de calcul, une augmentation du flux de transfert de connaissances, de communication qui favorise encore plus les animations et on se dit qu'il y a encore plus une quête de performance, encore plus en silo avec une définition de l'IA qui est une définition d'intelligence mais qui est une nouvelle révolution qui va encore plus accélérer ça. fragilise encore plus, c'est encore plus de performance mais encore plus avec des œillères entre guillemets, comment tu vois ça

Olivier: C'est plus compliqué. Pour moi, la révolution numérique, elle est complètement schizophrène parce qu'en fait, quand on a dans les années 60-70, quand on a vraiment commencé à lancer ça, en fait, c'était... Pour moi déjà, et d'ailleurs avec un collègue on a pas mal écrit là-dessus, Stéphane Grombach, c'était déjà une réponse à un monde qui faisait face à des pénuries.

C'est-à-dire qu'en fait quand on invente le monde hyper connecté, finalement, d'ailleurs c'est à l'époque des hippies, des mouvements communautaires, c'est pas par hasard, tout ça en fait c'est presque une réponse aux pénuries, c'est qu'on commence à se connecter, à s'interconnecter le monde entier, comme une façon d'être frugal.

On peut le voir comme ça, c'est-à-dire qu'en fait on peut penser ça comme une réponse, alors très maladroite, mais une réponse à la fin des ressources, à la fin de l'abondance matérielle. Quand on arrive à la fin de l'abondance matérielle, on bascule dans l'abondance des interactions. Comme le font les êtres vivants, quand ils basculent de la compétition à la coopération, parce qu'il y a des pénuries de ressources, c'est exactement ça qu'ils font, ils multiplient les interactions.

Et donc le numérique, on peut voir ça comme un produit humain qui est une réponse à un monde qui fait face à des pénuries et à des fluctuations fortes. Sauf que, évidemment, c'est extrêmement maladroit, parce que la façon dont le numérique est conçu, il dépend encore beaucoup de l'énergie, beaucoup du pétrole, beaucoup des minerais.

Et aussi, le côté hyperconnecté, c'est très pauvre, c'est-à-dire qu'en fait, c'est des interconnexions avec un seul canal, un écran, un clavier, un câble internet. Ça, ce n'est pas du tout l'hyperconnexion en version êtres vivants. Les êtres vivants, quand ils font de l'hyperconnexion, ils interagissent avec des espèces différentes et avec des modes d'interaction différents, des interactions électriques, chimiques, des tas de façons de faire.

Donc en fait, c'est très maladroit. Mais du coup, il y a les deux potentiels, c'est-à-dire que si on creuse un peu dans le numérique et qu'on veut être optimiste, on peut dire peut-être qu'il va se réinventer, que ça va être un outil pour en effet mettre les gens en interaction, faire des forums d'interaction, des gens qui ne seraient jamais connus autrement.

Donc ça c'est plutôt positif, ça c'est plutôt de la robustesse. Mais ça peut être aussi un outil au service de la performance. C'est par exemple Total qui utilise l'intelligence artificielle pour trouver des champs pétrolifères qu'il n'aurait jamais trouvé sinon. Donc en fait c'est toujours pareil, il faut se poser la question.

Dans un monde qui devient fluctuant, il faut plutôt faire de la robustesse. Sauf que quand on a des œillères, on pense que le monde est toujours abondant en ressources, et donc on reste sur le mode de la performance et on va utiliser les technologies pour la performance.

Julien: Alors allons sur la robustesse. Quelle est la réponse à apporter à cette fluctuation ? Donc toi ce que tu dis c'est qu'il faut faire de la robustesse et que notamment le faire parce que c'est une manière de s'inspirer du vivant, c'est-à-dire de s'inspirer de millions d'années de R&D comme certains disent où ces problématiques-là ne sont pas nouvelles.

Il y a des fluctuations dans le monde qui sont d'habitude plutôt plus lentes, sauf exception. Donc qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que la robustesse ? Et puis on va aller dans ton domaine de recherche aussi, qu'est-ce qu'il y a à apprendre de la réponse du vivant

Olivier: Oui, je rebondis sur ton point de dynamique, juste pour dire un dernier mot sur les fluctuations, parce qu'aujourd'hui on dit que l'effondrement des biodiversités, il y a déjà eu ça, il y a déjà eu des extinctions par le passé. Juste pour prendre un exemple bien classique, les dinosaures, il y a 66 millions d'années, quand ils ont disparu, d'ailleurs pas tous, parce que les oiseaux c'est quand même des restes de dinosaures, quand les dinosaures ont disparu, avant que la météorite tombe, ça faisait déjà 300 000 ans qu'ils étaient en déclin à cause des volcans des la météorite est tombée et il a fallu 33 000 ans pour qu'ils disparaissent.

Alors il faut comparer avec nous par exemple en Europe, en 30 ans on a perdu 80% des dinosaures. Et on a perdu des insectes en masse. En 30 ans. Donc ça n'a rien à voir comme terme dynamique. Les fluctuations auxquelles on va faire face sont vraiment impensables pour un humain. Ça c'est le premier point.

Alors du coup, la robustesse, la robustesse finalement, c'est la réponse opérationnelle à un monde fluctuant. En fait, il n'y en a pas d'autre. C'est sa définition. La robustesse, c'est maintenir le système stable ou viable malgré les fluctuations. Et donc, dans un monde qui fluctue, et j'ai envie de dire, il est trop tard pour imaginer réduire les fluctuations, ça va fluctuer au 21ème siècle, il aurait fallu s'y prendre beaucoup plus tôt pour réduire les fluctuations, donc ça va tanguer très fort, ça a déjà commencé à vrai dire.

Donc on va faire de la robustesse. Et alors, les êtres vivants, c'est ça qui est extraordinaire, c'est qu'ils font ça depuis des millions d'années. Et alors souvent quand on dit qu'il faut s'inspirer du vivant, ce qu'on met en avant très souvent c'est la circularité et la coopération. On appelle ça l'entreprise régénérative par exemple.

Bon alors très bien, mais sauf qu'on oublie le troisième principe du vivant. C'est qu'en fait on peut très bien faire de la coopération performante. Si on fait de la coopération performante, on va épuiser tout le monde, les ressources comme les humains. Si on fait de la circularité performante, on va épuiser les ressources aussi.

Donc en fait il ne faut pas oublier le troisième principe du vivant. Circularité, coopération et robustesse. Et finalement le principe de robustesse c'est le plus important parce que c'est un contre-modèle. Les êtres vivants sont robustes parce qu'ils gardent beaucoup de marge de manœuvre. Et donc ça veut dire qu'ils vont contre la performance.

Je vais peut-être juste donner un exemple pour l'illustrer. Ça c'est la chaîne alimentaire par exemple. La chaîne alimentaire, c'est quand même ça qui fonde les écosystèmes. Donc ça démarre avec une plante qui fait de la photosynthèse grâce au soleil. La photosynthèse, son rendement énergétique, c'est moins de 1% en général.

Les plantes gâchent 99% de l'énergie solaire. Après, un herbivore qui mange une plante, 90% de perte calorique. Un carnivore qui mange un herbivore, 90% de perte calorique. Donc il faut vraiment arrêter avec cette idée du vivant qui est optimiste, qui est sobre. C'est complètement faux. Le vivant gâche énormément.

Il de marge de manœuvre pour pouvoir vivre dans un monde fluctuant. Tout ce gâchis, toute cette biomasse qui est perdue, ça va nourrir l'écosystème. Et donc en retour, ça va stabiliser la vie de l'individu.

Julien: pense que c'est intéressant aussi puisque c'est ta spécialité d'aller sur d'autres exemples pour bien comprendre ce que ça veut dire pour qu'on se rende compte de comment ça fonctionne dans le monde Le vivant, avec aussi les principes de coopération peut-être qu'on connaît encore mal, qu'on découvre sur la manière de communiquer et la répartition des ressources

Olivier: Oui, je vais prendre un exemple de notre labo, sur un sujet sur lequel on a travaillé. Une des questions qu'on s'était posées, c'est comment les plantes font des fleurs qui ont toujours la même taille. Sur une plante, il y a 60 fleurs et toutes les fleurs ont la même taille. C'est quand même magique ça, parce qu'elles poussent toutes indépendamment, et même pas au même moment, et pourtant elles ont la même taille.

Comment on fait ? Ce qu'on peut imaginer d'un prime abord, c'est qu'il y a un programme. Parce que si c'est à ce point-là reproductible, il y a probablement une notice quelque part, comme quand on fait un meuble Ikea, et on suit la notice, et c'est pour ça que c'est toujours pareil à la fin. Quand on regarde au niveau cellulaire, au niveau moléculaire, ce dont on se rend compte, c'est le contraire.

On pourrait imaginer qu'au niveau cellulaire, c'est très homogène pour qu'à la fin, ce soit bien reproductible. Les cellules, par exemple, poussent à la même vitesse, comme ça c'est bien reproductible à la fin. Quand on mesure ça au microscope, c'est le contraire. On se rend compte que des cellules voisines poussent à des vitesses très différentes.

D'accord. Il y a beaucoup de conflits mécaniques entre les cellules pour le dire rapidement, ce dont on s'est rendu compte c'est que les êtres vivants misent sur l'hétérogénité locale parce que c'est plus riche en informations ou si je raisonne par l'absurde si toutes les cellules poussaient à la même vitesse elles seraient aveugles, elles ne seraient pas capables de voir leurs voisines parce que la voisine ferait exactement comme elle et du coup elles ne sauraient pas quand s'arrêter de grandir c'est une cellule, c'est pas grand chose mais elles ne s'arrêteraient pas quand il faut le fait que ce soit très hétérogène c'est très riche en informations et c'est la richesse des informations qui fait que ça fait des formes reproductibles ça c'est une vraie leçon pour la coopération pour nous, pour les humains parce que si on veut faire de la coopération performante on va plutôt prendre un groupe très homogène qui va pouvoir aller très très vite parce qu'ils n'auront pas besoin de s'expliquer les choses ils sauront quoi faire Donc ils vont aller très vite, mais ce sera très pauvre.

Et donc ils vont certainement apporter la meilleure réponse à la mauvaise question. Il faut d'abord questionner la question. Ça, ça veut dire qu'il faut d'abord partir avec un groupe très hétérogène, où il y aura des frictions, où il y aura des incompréhensions. Mais toutes ces incompréhensions, ça va permettre de clarifier les objectifs et de se dire, finalement, on va faire ça.

Si je fais une transposition du vivant au monde social, ça pourrait être ça.

Et on sait comment ça fonctionne justement cette espèce d'auto-limitation on pourrait dire à la croissance, on dit souvent les arbres ne grandissent pas jusqu'au ciel et à un moment donné il y a des choses qui s'arrêtent, est-ce que c'est... Est-ce que c'est des choses qui justement vont être codées génétiquement

Est-ce que c'est complètement lié aux interactions avec un milieu ? Et ce qui est aussi confus, c'est la différence qu'on fait souvent entre un individu et un réseau, c'est-à-dire qu'on va considérer une espèce sans la prendre dans son environnement, l'isoler et l'étudier. On va considérer, je ne sais pas, une plante, un arbre sans prendre en compte les liaisons qu'il va y avoir.

Est-ce que tu peux parler de comment, quel est ce mécanisme en fait qui fait qu'à un moment donné, il y a des patterns qui reviennent, qui fait que les fleurs sont… Pourquoi à un moment donné, les fleurs sont exactement pareilles ? Je n'ai pas bien compris vraiment quelle était la réponse. Pourquoi ça s'arrête à un moment donné

Et comment ces arbitrages se font en fait dans le vivant ? On ne sait pas tout, j'imagine, mais il y a des pistes 

qu'on peut avoir, oui. 

C'est une intégration de plein de choses il y a un aspect génétique il y a un aspect biophysique notamment il y a des forces et puis il y a un aspect environnemental il y a des signaux d'environnement qui vont faire que c'est possible ou pas possible un arbre grosso modo il ne peut pas aller au delà de 100 mètres de hauteur parce que la colonne d'eau qu'il y a dans le tronc à partir de 100 mètres ça fait des trous l'eau ça fait des bulles d'air et donc l'eau ne peut plus circuler donc il y a une limite physique sur Terre avec la gravité terrestre donc à 100 mètres ça ne marche plus et il y a aussi la croissance elle-même de la plante en fait les plantes sont très incohérentes plantes elles poussent parce qu'il y a de l'eau qui rentre et plus elles poussent plus elles font de la photosynthèse plus elles sont exposées au soleil et donc quand elles font de la photosynthèse elles synthétisent des polymères notamment de la cellulose la cellulose c'est aussi rigide que l'acier donc il faut bien comprendre que les plantes plus elles poussent et plus elles freinent Donc c'est complètement incohérent l'exemple typique, ça serait un automobiliste qui aurait le pied sur l'accélérateur et le frein à main enclenché c'est ça, une plante donc c'est complètement incohérent mais en fait ça, ça permet d'avoir un équilibre dynamique à l'intérieur et c'est cet équilibre là qui explique pourquoi les organes s'arrêtent de grandir à certains moments c'est qu'il y a une limite physique à force de se rigidifier, ça finit par vraiment devenir rigide et ça s'arrête et là on a atteint l'équilibre mais je voudrais aussi rebondir sur la notion d'individu parce que la notion d'individu c'est une construction humaine c'est que nous, individus humains on se conçoit comme des individus parce qu'on a une conscience humaine mais on peut complètement déminer ça on est des écosystèmes on a plein de bactéries dans notre corps on a plus de cellules bactériennes que de cellules humaines on est des écosystèmes ambulants et même nos cellules humaines au cours de l'évolution c'est des colonies bactériennes Et le noyau de notre cellule qui contient notre ADN, ce qui est le plus précieux, plus ou moins, notre noyau cellulaire, on pense que c'est une archébactérie.

Donc en fait, la notion d'individu, elle est très relative. Alors pour les plantes, c'est encore pire parce qu'on peut faire des boutures. Alors du coup, quand on fait une bouture, c'est quoi l'individu ? C'est l'érisome, tout ça

Ok. J'avais un peu abordé ces sujets déjà avec James Bridle et Nora Bateson aussi qui sont sur les thèmes du vivant. Je peux renvoyer les auditeurs vers ça. Alors comment on fait nous en tant que société humaine pour s'inspirer de ça ? Une fois qu'on s'est dit qu'on était en train d'entrer dans un monde extrêmement fluctuant, qu'aussi on avait créé nous-mêmes et que nos sociétés étaient toujours tournées vers toujours plus de performance, d'optimisation, etc. on construit de la robustesse ? D'une part en théorie, puis après on va parler en pratique justement dans un monde qui n'est pas fait pour ça aujourd'hui.

Olivier: Il y a plusieurs étapes qu'on peut faire en parallèle d'ailleurs. La première chose à faire, c'est de ringardiser la performance. Il faut comprendre qu'en gros, d'évacuer les contre-performances comme la redondance, l'hétérogénéité, l'incohérence, l'aléatoire, l'inachèvement, toutes ces contre-performances sur lesquelles se construisent les êtres vivants, les êtres vivants se construisent sur leurs points faibles.

Et nous, les humains, obnubilés par la performance, on a tendance à optimiser, à écarter tout ça. Et donc, on va plutôt aller vers du flux tendu, etc. Donc, en fait, il faut vraiment ringardiser

Julien: une petite seconde sur la digression, les êtres vivants se construisent sur points faibles, c'est-à-dire

Olivier: Pour faire du jeu dans les rouages... Et ils ont besoin d'avoir des doublons, l'hétérogénéité de croissance cellulaire, par exemple, pour avoir plus de richesse d'informations. Tout ça, ça a un coût, en fait. La redondance, l'aléatoire, l'hétérogénéité, l'inachèvement, ça veut dire qu'en fait, à chaque fois, il faut explorer, il faut expérimenter, il faut diversifier.

Tout ça, ça coûte beaucoup d'énergie, beaucoup de ressources. C'est aussi pour ça que les êtres vivants gâchent énormément de ressources.

Julien: C'est pour minimiser leurs points faibles donc

Olivier: Alors, en fait, c'est plutôt, pour moi, j'irais plutôt qu'ils se construisent sur leur point faible.

C'est-à-dire qu'en fait, ils valorisent la redondance, ils valorisent les aléas, ils valorisent l'hétérogénéité. Alors que nous, société humaine, quand on optimise, c'est ça qu'on veut absolument écarter. On ne veut pas de doublons dans les organigrammes, par exemple. Alors, les êtres vivants, ils veulent des millions de doublons.

C'est le contraire, c'est un contre-modèle. En fait, il n'y a pas d'objectif aussi. Les êtres vivants n'ont pas d'objectif. L'évolution darwinienne, elle est aveugle. On ne sait pas où on va.

Julien: je te laisse reprendre gardiser la performance aussi et

Olivier: Et donc voilà, ringardiser la performance

Julien: long terme quelque part aussi c'est penser aux éventualités qui peuvent arriver

Olivier: la robustesse En fait il y a une phrase qui le dit bien Dans le monde de la robustesse Dans le monde fluctuant On ne prévoit plus, on se prépare C'est ça en fait finalement Ça veut dire qu'en fait, prévoir Quand on prévoit, c'est très arrogant Parce que ça veut dire qu'on sait ce qui va se passer Dans un monde fluctuant, notre seule certitude C'est le maintien et l'amplification de l'incertitude Et donc on ne prévoit pas On se prépare Et donc ça veut dire qu'on garde énormément de marge de manœuvre Qu'on diversifie, qu'on explore C'est exactement ce que font les êtres vivants Et donc quand je dis ringardiser la performance Un exemple tout simple, c'est de voir Ce que font les ultra-performants Que font les ultra-performants J'ai mes exemples favoris Elon Musk, c'est un peu le Le gourou de la performance Elon Musk il veut aller sur Mars Mars c'est une planète morte Donc, en fait, c'est un projet de mort d'aller sur Mars.

Mark Zuckerberg, il veut faire un bunker à Hawaï. C'est un tombeau. Faire un bunker, ça n'a vraiment aucun sens. MBS, il veut faire une ville, Neom, en plein désert, en Arabie Saoudite. C'est une ville morte aussi. En fait, tous les ultra-performants ont des projets de mort. Et donc, moi, j'invite plutôt les auditeurs à aller vers un monde de la robustesse où on vit avec les fluctuations.

Ça, c'est un projet de vie, en fait. Quand on vit avec les fluctuations, on vit. Donc, ringardiser la performance, ça veut dire qu'il faut déminer cette idée d'une performance nécessairement positive. La performance, c'est s'enferrer dans une voie étroite. Dans un monde qui devient fluctuant, ça n'a aucun sens.

Julien: On pourrait contre-argumenter que les exemples que tu cites, en fait, sont des exemples de préparation. C'est-à-dire qu'on anticipe une voie possible et on se prépare à l'éventualité, dans les cas que tu as dit, d'un effondrement soit général de la vie sur Terre et donc qu'il faut préparer une autre planète, ou de l'effondrement de la société et donc qu'il faut que j'ai un plan B.

Olivier: Je comprends. Quand je dis se préparer, c'est dans l'hypothèse d'un monde fluctuant. Le bunker avec du Wi-Fi fait l'hypothèse d'un monde stable. Qu'on vende des bunkers avec un accès Wi-Fi, ça veut dire qu'il y a quand même une dissonance. Pensez à l'effondrement total de la planète en ayant des bornes Wi-Fi dans les bunkers.

Pareil sur Mars, il y a un truc que Elon Musk et d'autres, la NASA, l'ESA, c'est pareil, qu'ils n'ont pas pris en compte, c'est le fait qu'aujourd'hui sur Terre, on ne sait pas faire l'agriculture circulaire. On ne sait pas faire pousser des plantes dans un milieu clos, dans une petite serre complètement hermétique avec du sol, de l'eau et des plantes.

Ça, ça dérive très rapidement. Donc c'est des projets qui n'ont aucun sens. Ça ne sert à rien d'investir là-dedans.

Julien: n'y a pas des gens qui font des recherches là-dessus. C'est anecdotique, mais j'imagine que Zuckerberg doit avoir construit son petit réseau local avec une capacité en approvisionnement en énergie locale et que ceux qui bossent sur les missions de Mars travaillent à l'agriculture régénérative.

Pour bien comprendre, ça m'amène la question du numérique. Pourquoi le développement du tout numérique, même que la mondialisation et la multiplication des échanges, fragilise la société

Olivier: Oui, c'est pareil, c'est schizophrène. La version positive, c'est que l'hyperconnexion peut nous amener à être confrontés à des choses qu'on n'a jamais vues, à des nouveaux savoirs, de façon aléatoire. Ça, c'est de la robustesse, typiquement. Ça veut dire qu'on passe plus de temps aussi. C'est un peu une perte sèche.

C'est une contre-performance au service de la robustesse. Ça, c'est la partie positive. La partie négative, et c'est ce qu'on voit actuellement, c'est que vu que les outils numériques qu'on a développés sont extrêmement performants, on peut penser au scrolling, par exemple. Le scrolling sur le téléphone portable, en fait, c'est des outils d'addiction.

Et donc là, pour le coup, ça fait le contraire. C'est que ça rend la relation au monde très étroite. En fait, on va plus se connecter qu'à des gens qui ont les mêmes opinions que nous. Ça, c'est de la dérive sectaire. Et c'est de la dérive sectaire qui est nourrie par des outils numériques qui sont hyper performants.

La performance et la dérive sectaire, ça va très bien ensemble. C'est très étroit, donc on se canalise. Donc en fait, c'est très schizophrène. Moi, j'aurais tendance à dire que si on veut inventer le numérique robuste de demain, il faut absolument qu'il génère de la frustration. Il faudrait que les outils numériques nous donnent envie de lâcher l'outil numérique au bout d'un moment.

Donc, Azar Askin, celui qui a inventé le scrolling, par exemple, actuellement, il essaie de développer un scrolling visqueux. En fait, plus on scrolle et plus c'est lent. Au bout d'un moment, on lâche l'affaire. C'est intéressant parce que c'est quand même lui qui a inventé un système addictif et qui commence à inventer l'outil de déprise, de déprise sectaire.

Parce qu'il se rend bien compte que c'est toxique. C'est toxique pour tout le monde, y compris pour lui.

Julien: Peut-être développer un petit peu sur ce qu'on est en train de construire comme infrastructure aussi ou sur le numérique pour qu'on se rende compte peut-être avec d'autres exemples de pourquoi ça fragilise parce que encore une fois c'est pas quelque chose qui va être extrêmement intuitif parce qu'on va dire on multiplie la mise en réseau on multiplie les interconnexions les projets logistiques les routes etc qui font que ou les différentes technologies qui font qu'on se dit c'est fait pour que ça tienne donc tu vois pour qu'on se rende compte où c'est fragile

Olivier: Oui, c'est fragile au cœur du système, c'est fragile pour la société. Je vais prendre l'exemple de Bruxelles qui est en train de voter une loi qui va numériser les guichets sociaux. En fait, les personnes qui ont besoin de services sociaux, actuellement, ils ont des vraies personnes physiques qui leur parlent et ils veulent numériser tout ça, transformer les guichets physiques par des guichets numériques.

Évidemment, il y a des gains financiers énormes avec ça. On peut même penser que le guichet numérique est plus sachant parce qu'il a accès à toute la connaissance qu'une personne humaine n'a jamais accès. Mais par contre, c'est l'effet rebond aussi typique. Si on passe au guichet numérique, il faut que le public soit au courant, qu'il sache manipuler l'outil numérique.

Quand c'est des milieux plutôt fragiles, plutôt vulnérables, ce n'est en général pas les publics les plus à l'aise avec les outils numériques. Et en plus, ils vont avoir une relation de QR code. Donc ils perdent une relation humaine. De l'autre côté, les employés, ceux qui fournissaient les services sociaux, ils ont rejoint ces métiers-là parce qu'ils veulent des interactions humaines.

Ils ne sont pas là pour faire scanner des QR codes. Donc ils démissionnent. Donc on est en train de perdre des compétences, des compétences importantes, parce que c'est des compétences sociales hyper cruciales dans une société, d'être capable de parler à des gens qui sont fragiles, qui sont handicapés, qui ont des problèmes sociaux, des problèmes économiques.

On va perdre ces personnes-là. On va les remplacer par un guichet numérique hyper efficace, hyper efficient, économe en énergie, tout ce qu'on veut, localement en tout cas. Mais par contre, on va aussi perdre le public. C'est celui qui va s'en sortir, c'est celui qui va être capable de scanner son QR code.

Ça, c'est une sélection darwinienne très mal comprise, où on sélectionne encore une fois les plus performants et on va perdre des compétences énormes. Le jour où il y a un virus qui mine ces guichets numériques... Qu'est-ce qu'on fait ? On n'a plus de personnes formées pour répondre aux personnes.

Julien: Oui, et puis on comprend bien aussi ce que veut dire le fait qu'il y a tout un tas de choses qu'on ne peut pas faire si on n'a pas un smartphone. C'est aussi une forme de fragilisation, de dépendance envers un outil.

Olivier: calme.

Julien: Peut-être revenir aussi sur cette loi de Goodhart, quand une mesure devient une cible, elle cesse d'être fiable.

comprendre aussi comment peut-être, je ne sais pas si tu as travaillé là-dessus, mais comment le PIB qui est là l'indicateur maître la trajectoire des sociétés. Est-ce que c'est un sujet sur lequel tu as réfléchi

Olivier: Oui, je peux renvoyer aussi à Timothée Pareil qui en parle très bien dans son bouquin. PIB, c'est un peu un cristal parce que c'est quand même ça qui gouverne le marqueur, c'est l'indicateur de performance d'un pays. On a fait l'index de développement humain, l'index de développement durable, mais finalement ça reste le PIB, l'indicateur de performance.

Le PIB, il a été inventé dans les années 30-40 et à l'époque, c'est là qu'on a commencé à se demander qu'est-ce qu'on compte en plus et en moins. Par exemple, l'extraction minière, c'est création de la valeur, donc c'est du positif, mais on enlève du capital, on déstocke du capital, donc c'est du négatif. Là, on a choisi arbitrairement de dire que ce sera du positif.

Alors qu'évidemment, d'un point de vue purement physique thermodynamique, c'est du moins. On perd du capital en train de diluer des métaux dans l'océan. C'est une erreur mathématique. Et bien aujourd'hui, on ne la questionne pas parce que le PIB est devenu tellement un dogme que le PIB, c'est forcément positif qu'il faut faire de la croissance du PIB.

C'est-à-dire que même si moi, je vends de la drogue, ça va faire monter le PIB de la France. S'il y a un méga feu en Provence cette année, ça va faire monter le PIB aussi parce que là, il y a des pompiers qui vont consommer du pétrole pour y aller. C'est complètement fou quand même de penser que le PIB reste encore ça.

Sur le PIB, c'est extraordinaire parce que justement, les nouveaux indices vont contre ça. Le PIB, c'est vraiment hyper étroit et donc c'est de la loi de Goddard parfaite, contre-productive. Donc on a pensé index de développement humain en rajoutant de l'éducation, du social, mais vu que c'est quand même très corrélé aux pays riches, du coup, ça ne change pas grand-chose.

Ce qui est beaucoup plus intéressant, c'est ce qu'a proposé Jason Hickel avec son indice de développement durable où il a pris l'indice de développement humain. Il l'a pondéré par l'empreinte écologique du pays. Donc à la fois matériel, carbone, enfin plus large que juste le carbone. Et bien là, ça inverse tout.

Les premiers pays, ce n'est plus du tout la Scandinavie. La Norvège, elle part à la fin du peloton. C'est plutôt le Costa Rica, des pays comme ça, qui ont des niveaux de soins très élevés, qui ont une bonne éducation, qui ont des services sociaux qui fonctionnent. C'est ça, finalement, qui fait que ça marche et qui préserve les mines naturelles.

Julien: vais revenir sur le comment, sur quoi faire de tout ça. Tu as dit que la première chose, c'est de sortir du culte de la performance. Après, on pourra revenir sur les autres idées. Mais déjà ça, comment faire ça dans un monde qui est complètement optimisé sur le court terme, où une organisation qui ne monte pas de la performance sur un an va virer son PDG

Est-ce que tu as des manières de faire ? Est-ce que c'est faisable partout aussi ? Est-ce qu'il n'y a pas des choses qui nous empêchent complètement

Olivier: C'est plus ou moins compliqué en fonction des secteurs et des contextes, mais il y a une chose essentielle. La carte qu'il faut sortir, c'est la carte risque. C'est qu'en fait, dans un monde qui devient fluctuant, le niveau de risque augmente. Et ça, tout le monde peut l'entendre. N'importe quel investisseur qui a quelques neurones peut comprendre qu'il faut prendre un niveau de risque beaucoup plus important qu'avant.

Les entreprises, ça fait des décennies qu'elles intègrent le risque dans leur stratégie, mais elles intègrent en général un risque économique, et c'est tout. Alors qu'il faut intégrer un risque social, un risque climatique, un risque énergétique, un risque écologique. Donc là, le niveau de risque a beaucoup augmenté, et il ne va pas arrêter d'augmenter.

Quand on est au courant de ce niveau de risque, d'un seul coup, on ne fait plus du tout les mêmes stratégies. Et d'un seul coup, on se rend compte que la stratégie hyper performante de livrer ses courses en 10 minutes, par exemple, ça n'a aucun sens. C'est voué à l'échec direct. C'est vraiment purement une stratégie financière de court terme.

Mais dans un monde qui devient très fluctuant, il faut penser que le court terme va se rapprocher aussi. Donc ça n'a plus de sens. Donc le niveau de risque, c'est ce que je dis souvent, c'est que choisir la robustesse, ce n'est pas manier la peur, c'est au contraire, c'est réenchanter le risque. Ce n'est pas de l'agilité, ce n'est pas slalomer entre les risques, c'est considérer que le risque est à ce niveau-là et on va prendre un peu de marge de manœuvre pour être sûr d'être au-dessus du niveau de risque.

Et du coup, on a réenchanté le risque. Et là, quand il se passe quelque chose, quand il y a une fluctuation, quand il y a une crise, c'est bon, on est préparé parce qu'on a déjà pris suffisamment de marge de manœuvre. Et donc c'est ça aussi, regardiser la performance. Donc penser que ceux qui sont à fond dans la performance prennent tous les risques dans un monde fluctuant, c'est vraiment suicidaire.

Julien: Et ça implique de penser un petit peu plus long terme qu'au prochain trimestre, au prochain bilan à trois ans. Donc, toi, c'est quoi les obstacles que tu vois aujourd'hui qui empêchent de faire ça ? Est-ce que, d'ailleurs, il y a des obstacles comptables, des obstacles législatifs, culturels ? Où est-ce que tu mets le curseur

Olivier: Le curseur il est d'abord culturel en fait c'est une révolution culturelle c'est qu'en fait on est tellement drogué on est tellement addict à la performance qu'on n'est pas capable de penser un monde sans performance ou en tout cas avec moins de performance c'est d'abord culturel parce qu'en fait après on se posera les bonnes questions une fois qu'on a compris que le monde allait fluctuer on va faire de la robustesse et à vrai dire, ça peut être la deuxième étape dans la procédure c'est de faire un audit interne de robustesse dans une organisation de voir où est le déjà là robuste dans une organisation et alors ça c'est finalement assez simple il faut lister les contre-performances de son organisation Et de voir en quoi ça ajoute de la robustesse.

Un exemple typique, hyper anecdotique, c'est la pause café. La pause café, c'est un moment qui n'est pas performant, on perd du temps, c'est pas productif. Mais par contre, on fait du lien social, on fait du sentiment d'appartenance, on fait de l'innovation, parce qu'il y a des collisions d'idées aléatoires, ça c'est de la robustesse.

Et donc ça, on peut le décliner partout dans les organisations. Voilà, donc cette audite interne de robustesse, c'est une façon de pratiquer le monde post-performance, j'ai envie de dire. Se dire, oui, nous on a déjà de la robustesse chez nous, on ne va pas partir d'une feuille blanche, on va partir de ça et on va le faire fructifier.

Et on va voir en quoi ça peut nous permettre de faire face à des fluctuations à venir.

Julien: Je voudrais explorer d'autres exemples pour savoir comment on construit de la robustesse sur nos systèmes techniques, sur l'agriculture, sur des choses aussi comme la monnaie peut-être. Est-ce que tu as exploré un petit peu tout ça ? qu'est-ce que tu vois qui est essayé justement et qui peut-être commence à fonctionner

Olivier: Il y a plein d'exemples, c'est ça qui est très réjouissant, c'est qu'en fait on a déjà basculé, j'aurais pas dit ça il y a 20 ans, mais aujourd'hui on a déjà basculé parce qu'on est en train de rentrer dans ce monde très fluctuant. Dans l'agriculture, l'exemple typique c'est l'agroécologie qui est construite sur de la biodiversité cultivée, c'est souvent plus compliqué, c'est plus lent, c'est plus hétérogène, c'est tous les principes du vivant, mais ça rend les parcelles plus autonomes.

Qui sont capables de gérer des sécheresses, des pathogènes. Les petits paysans n'ont pas le choix, ils basculent vers l'agroécologie, tout simplement parce que c'est plus robuste. En agriculture, ça va très vite, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer dans les médias, mais ça va très vite, la bascule vers l'agroécologie.

Dans le monde des objets, des biens de consommation, c'est le tout réparable qui est un des meilleurs exemples. Pendant des années, on a fait du tout jetable, on a fait de l'obsolescence programmée. Aujourd'hui, la plupart des entreprises se posent la question de la réparabilité de leurs produits. Ils font des contrats de réparation, c'est Dartimax, c'est Boulanger, en fait, ils n'ont plus aucun intérêt de vendre des objets qui se cassent facilement parce qu'ils vendent aussi le contrat de réparation qui va avec.

Le réparable, c'est la réponse opérationnelle à l'obsolescence programmée. Le tout réparable, ça, c'est la robustesse. C'est qu'on va bricoler, on va avoir des objets qui seront peut-être plus gros, qui sont peut-être un peu plus mal fagotés, parce qu'il faut pouvoir accéder aux pièces internes, qui seront peut-être plus lourds, peut-être qu'ils consomment plus de ressources à la construction, mais vu qu'ils sont réparables, ils seront plus sobres dans la durée.

C'est ça qui est fort, en fait. Quand on pense robustesse, on répond à une pulsion humaine profonde, qui est celle de durée et de transmettre. C'est quelque chose qui peut vraiment mobiliser, et ça génère de la sobriété sans qu'on s'en rende compte. Donc en fait ça permet de contourner l'effet rebond c'est à dire que si on commence par la sobriété comme on fait actuellement si on commence par la sobriété on va faire surtout de l'efficience énergétique et donc il y aura des effets rebonds et en fait en voulant faire de la sobriété on va faire de l'ébriété donc c'est la robustesse d'abord qui permet de construire la sobriété c'est une méthode, c'est pas seulement un principe simple dans un monde fluctuant, la robustesse c'est aussi une méthode c'est le premier critère de tri dans les solutions robustesse d'abord

Julien: Est-ce que tu vois quelque chose soit lié au système monétaire et à la monnaie aussi qui empêche les choses d'aller plus vite

Olivier: Oui, bien sûr. La financiarisation du monde, c'est un vrai vecteur de performance. D'ailleurs, le monde de la finance, c'est certainement un des derniers qui restera coincé dans le dogme de la performance, je crois. Ce qu'on voit apparaître, c'est les monnaies locales, par exemple. Les monnaies locales, c'est une façon décentralisée, plus hétérogène, plus compliquée.

C'est toujours pareil. C'est moins performant. C'est des moins grandes sommes aussi. Mais par contre, ça permet de nourrir l'activité économique du territoire. Et donc, forcément, il y a des tas d'aspects culturels associés à ça qui font qu'on n'achète pas seulement un bien. En fait, on prend soin de son territoire socio-écologique.

Forcément. Donc ça, c'est une façon de faire.

Julien: Tu as été voir du côté des crypto-monnaies du bitcoin en particulier parce qu'on se dit que d'un côté c'est très énergivore mais de l'autre ça empêche la création monétaire

Olivier: Oui, c'est toujours pareil. C'est toujours complexe. Dans le Bitcoin, il y a l'idée du blockchain, de la décentralisation, d'une forme de redondance, d'hétérogénéité. Tout ça, c'est ce qui rend le système robuste à l'intérieur. Mais c'est toujours pareil. Si ça devient dominant et si ça n'alimente qu'une industrie toxique, du crime organisé notamment, on a très clairement rebasculé dans la performance.

En fait, c'est la question des usages. Un avion, par exemple. Un avion, il a trois pilotes automatiques différents sur l'avion. C'est plus lourd. C'est une contre-performance, une forme de redondance technique qui permet à l'avion de faire face à des turbulences, à un souci technique. On va contre la performance pour faire de la robustesse.

Mais par contre, l'avion, lui, il consomme beaucoup de kérosène. Est-ce qu'il faut toujours prendre l'avion pour faire des petits voyages ? En fait, c'est toujours pareil. On peut avoir une architecture robuste au service de la performance.

Julien: Je t'ai parlé de ça parce qu'on voit beaucoup dans les milieux justement de transition plutôt anglo-saxon, mais toute une réflexion sur la blockchain et la mise en place justement d'outils qui permettent de coder le fait qu'on ne peut pas créer plus de monnaies qui vont permettre de créer plus de dettes, etc.

Donc, je voulais savoir si tu avais creusé un petit peu plus la question.

Olivier: J'ai pas trop creusé mais

je pensais juste à un truc c'est que dans la performance il y a aussi le contrôle c'est qu'en fait quand on est obsédé par le contrôle il faut toujours imaginer qu'il y aura toujours des moments où on va rater un truc donc même si on met des garde-fous, ce qui peut être très bien c'est le contrat social, c'est bourré de garde-fous partout donc c'est plutôt bien mais si ça devient trop précis trop spécifique, trop étroit on va refaire de la performance, de la performance du contrôle et du coup ça peut aussi être problématique mais j'ai pas bien creusé la question

Julien: Oui, et puis ça devient vite assez technique. 

que ça veut dire, par exemple, pour une grille d'énergie éthique, à quoi ça ressemblerait un système énergétique au niveau d'un pays qui soit beaucoup plus robuste

Qu'est-ce qu'il faudrait faire concrètement pour préparer cette robustesse ? Est-ce que tu as des exemples

Un exemple typique, c'est la diversification. Ça veut dire qu'il ne faut pas mettre l'accent que sur les panneaux solaires ou que sur les éoliennes ou que sur le nucléaire par exemple. Une diversité et une diversité territoriale, c'est-à-dire que chaque territoire finalement devrait avoir accès à une diversité de sources d'énergie.

Donc ça veut aussi dire qu'il y a certaines sources d'énergie qui sont... Plus ou moins robuste. Par exemple, une centrale nucléaire n'est pas très robuste. En fait, dans un monde fluctuant, une centrale nucléaire, ce n'est pas une question d'énergie, ce n'est pas une question d'écologie, c'est une question géopolitique.

Dans un monde fluctuant, une centrale nucléaire, c'est une bombe sale. D'abord, là on est à l'époque de Zaporizhia, sur le front de l'Ukraine, on le sait. Donc il ne faut surtout pas mettre l'accent sur des sources d'énergie qui sont potentiellement des dangers géopolitiques à l'avenir.

Tu peux développer un petit peu pour qu'on comprenne bien parce que c'est quoi c'est que la chaîne d'approvisionnement du client est complexe et qu'il faut les compétences pour les maintenir qui sont complexes

C'est pire que ça. En effet, le nucléaire dépend de sources extérieures. L'uranium, on le fait venir d'Australie maintenant, depuis qu'on n'a plus accès au Niger. On voit que le système est un peu problématique. Mais moi, c'est même pire que ça. Une fois qu'on a une centrale nucléaire en activité dans un pays...

C'est une cible géopolitique. On peut la faire exploser. C'est aussi clair que ça. Encore une fois, on a Zaporizhia en Ukraine comme exemple d'une centrale nucléaire la plus grande d'Europe qui est sur la ligne de front. C'est un risque incroyable. Si cette centrale nucléaire explose et que le vent tourne du mauvais côté, ça va changer le visage de l'Europe.

Oui, donc ça revient à des discussions qu'on a pu avoir dans d'autres épisodes sur penser aussi aux infrastructures qu'on construit, comment on va les démonter et puis les impacts qu'il peut y avoir derrière quand ça ne tourne pas comme prévu. Donc ça veut dire concrètement varier les sources et étages et fermetures, exactement.

Et comment ça se passe aussi sur l'agriculture, tu en as un petit peu parlé, c'est revenir à des modèles agricoles qui sont moins dépendants certainement aussi des engrais chimiques qui permettent au système de se renouveler, etc. Au niveau d'une chaîne logistique, donc aujourd'hui tu prenais l'exemple du canal de Suez où on est très dépendant de flux tendus qui sont sur des chaînes mondialisées.

Que tu vois qui se met en place d'intéressant et surtout qu'est-ce qu'il faudrait faire ? C'est quoi ? Relocaliser les industries ? Relocaliser tout un tas de choses ? Qu'est-ce ta en-tête

Alors, un exemple typique, c'est l'outil de transport, que ce soit une voiture ou un camion. La question ne s'est pas si c'est électrique ou thermique. Pour que ce soit robuste, il faut que ce soit léger, réparable et partagé. C'est ça. Donc en fait, ça veut dire que des chaînes logistiques, elles doivent suivre certains standards que n'importe quelle autre compagnie peut utiliser.

Par exemple, pour donner un autre exemple, dans les fournisseurs de télécoms, ils ont chacun leur truc différent, leurs outils. Complètement idiot quoi, il faut que tout ça ce soit interopérable, et bien c'est pareil pour les chaînes logistiques parce que ça permet la polyvalence, ça permet la diversité, en fait c'est fertile pour faire de la robustesse on peut penser à d'autres choses, ça veut dire aussi une diversité de moyens de transport, je vais prendre l'exemple d'un hôpital en Afrique par exemple il faut surtout pas qu'il n'ait que des ambulances électriques il faut qu'il ait des ambulances aussi thermiques et à la limite qu'il ait des animaux de traits C'est toujours pareil, il faut penser le monde fluctuant.

Si je n'ai plus de pétrole, si je ne peux plus charger mes batteries, si je ne peux plus réparer ma voiture, j'aurais besoin d'un animal de trait. Je force le trait, sans jouer sur les mots, mais c'est ça le monde robuste, c'est on diversifie. Donc c'est un coût, parce qu'il faut entretenir, maintenir tout ça.

Oui, oui. Je t'avais entendu parler aussi dans je ne sais plus quel contexte, mais de l'importance de construire des chemins de traverse, c'est-à-dire pour avoir des alternatives justement au chemin le plus court. C'est ça en fait

Exactement. Dans le monde de la robustesse, on ne se pose plus la question du chemin le plus court, on se pose la question de l'épaisseur du chemin. C'est-à-dire qu'il y a le chemin le plus court, mais il y a aussi un autre chemin, et puis il y a encore un autre chemin, et puis il y a encore un autre chemin.

Et j'ai tous ces plans B, C, D, E qui sont disponibles, qui sont plus ou moins coûteux, mais qui sont disponibles et que je maintiens activement en permanence.

Ok. Et pour tout ce qui est de l'organisation des villes, est-ce que le fait, par exemple, de tourgrouper autour des villes, ça fragilise un territoire par rapport à ce qu'on avait avant, où le territoire était occupé de manière beaucoup plus large, en tout cas de manière plus éparse

Oui, en fait c'est un double mouvement, c'est-à-dire que le futur sera rural, on le voit bien parce que c'est là que sont les ressources, c'est aussi notre reconnexion à la nature quelque part, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de ville à l'avenir, c'est plutôt les villes qui vont se ruraliser finalement, c'est la ville de 15 minutes.

La ville de 15 minutes c'est une ville de quartier, c'est une ville-village. Les villes gigantesques avec un centre commercial au cœur, ça c'est le monde de la performance centralisée périmée, obsolète, qui ne fait vraiment plus du tout rêver. Donc c'est plutôt des petits quartiers, et donc même dans la ville, il y aura des villages.

Et donc ça aussi, c'est des formes de petites cellules autonomes, comme notre corps d'ailleurs, c'est des cellules autonomes, robustes, mais qui sont très interconnectées avec les autres. Et donc beaucoup de redondance, Beaucoup hétérogéné, de nouveau.

Il y a un lien entre le niveau de complexité qui est mis en place et est-ce que c'est systématique et la capacité de robustesse ou alors est-ce que tu as des systèmes qui vont être extrêmement complexes mais extrêmement robustes pour savoir dans quelle direction chercher aussi

En fait, la robustesse, c'est un juste milieu. C'est-à-dire que l'absence totale de complexité, donc l'hypersimplification, c'est extrêmement fragile. C'est l'hyper-optimisation. Et l'hyper-complexification, elle est aussi extrêmement fragile, parce qu'en fait plus personne ne comprend ce qui se passe. Donc en fait, c'est le juste milieu d'Aristote, c'est que la robustesse, il y a un niveau de complexité qui n'est pas très élevé.

Il y a un peu de complexité, mais ce n'est pas hyper-complexe. L'exemple typique, c'est les normes, ou les règles, les lois. En fait, quand on met des normes, c'est plutôt bien, ça met un cadre et du coup, ça donne un espace de liberté. Ça, c'est super. Ça, c'est de la robustesse. Pas de règles du tout. Le néolibéralisme flamboyant, la main invisible, ça, c'est de la performance en rouille.

Par contre, quand on met trop de règles, quand on met trop de normes, ça, c'est de la performance administrative. Et du coup, c'est de l'administration qui s'auto-entretient, s'auto-justifie et on perd complètement la question de départ. Donc, c'est plus robuste.

Ok. Il y avait un autre exemple que tu voulais mentionner qui te paraît extrêmement parlant par rapport à ce qu'il faudrait faire sur les systèmes actuels et qui te semble là où il y a le plus gros niveau de risque.

L'éducation. On est dans ce monde obstiné par la performance. On a évidemment fait des écoles de la compétition avec des bonnes notes, des concours aux grandes écoles, des élèves qui écoutent un savoir descendant. Tout ça, c'est de la performance. On apprend très vite. En tout cas, pour ceux qui peuvent, ils apprennent très vite.

Pour tous les autres, c'est une catastrophe. Le pire, c'est que quand on a une forme d'exhaustivité des savoirs, on ne nourrit plus sa curiosité. La version robuste, c'est des écoles de la coopération, où il n'y a plus vraiment de programme, où les élèves vont chercher eux-mêmes l'information, quand ils découvrent quelque chose, ils l'apprennent aux autres élèves, c'est beaucoup plus horizontal.

Et où le professeur a surtout le rôle de poser des questions et de questionner les questions, et donc déguiser le sens critique des élèves. Et donc, à la fin de l'année, on n'a pas tout vu, il y a des grosses lacunes, mais ces lacunes, c'est des forces de mobilisation. C'est qu'un élève qui a une grosse lacune, il sait comment chercher l'information, il va la chercher, il va être capable de la critiquer, enfin, il ou elle, évidemment, et donc construire un savoir.

En fait, on va former des citoyens. Vraiment. Ça c'est les écoles de la coopération. Et alors c'est pour moi le premier besoin, c'est que dans un monde fluctuant, il faut d'abord former des coopérateurs. Et là je ne suis pas en train de dire que je ne mets pas tout le poids sur les enfants ou sur les jeunes, c'est les parents aussi qui vont s'y mettre.

C'est-à-dire que cette école de la coopération, elle est totale, c'est la formation continue, etc.

ce qui est robustesse psychologique, est-ce que tu as deux mots à dire là-dessus

ça qui est extraordinaire. J'ai beaucoup d'interactions avec des psychanalystes et des psychologues parce que cette histoire de robustesse, ça parle beaucoup. En fait, ce qu'on apprend du vivant, la robustesse du vivant, c'est un équilibre interne. C'est la redondance qui contrebalance l'aléatoire, c'est les forces de tension qui contrebalancent les forces de compression.

Dans le vivant, ça n'arrête pas, c'est toujours des forces contradictoires qui font un équilibre. La robustesse, c'est exactement ça, c'est une forme de stabilité dynamique Donc ce n'est pas la ligne plate, en fait ça oscille en permanence. C'est une stabilité dynamique. Cette stabilité dynamique, elle existe que s'il y a des forces contradictoires qui se poussent les unes contre les autres.

Du coup, en psychologie, finalement, on me dit, alors je ne suis pas psychologue, je suis encore moins psychanalyste, Mais on me dit que c'est souvent ça le secret, c'est de trouver cet équilibre et de ne pas chercher à perfectionner, de trouver une moyenne parfaite. C'est plutôt d'osciller entre ces deux états et de trouver ses bornes et de vivre comme ça avec ses fluctuations, avec ses propres fluctuations.

Ok, donc accepter justement, il y a une forme d'acceptation de la fluctuation aussi qui est plus très populaire finalement dans ce culte de la performance dont tu parles et qui fait qu'il y a différentes saisons aussi psychologiques entre guillemets avec lesquelles il faut savoir naviguer, avec des moments où on va être justement beaucoup plus productif, d'autres moins, c'est ça un petit peu aussi

Et s'adapter à accepter qu'on ne maîtrise pas

point de vue, ça c'est Yuval Harari qui le dit bien, le bonheur est toujours relatif. C'est que quand on se sent heureux, c'est parce que peut-être le moment d'avant on était un peu moins heureux, c'est toujours relatif, c'est toujours par rapport, c'est toujours ces oscillations.

Si on était heureux à 98% en permanence, en fait on serait malheureux, parce qu'on n'aurait plus de moyens de percevoir, qu'on serait aveugle à notre propre bonheur.

Julien: C'est intéressant ce que tu disais aussi sur le fait que tu vois beaucoup de choses qui bougent dans ce sens-là, alors qu'on a l'impression que ça reste un petit peu à stagner quand on regarde ça, notamment dans les médias mainstream. Tu as l'impression qu'il y a une espèce de prise de conscience globale avec expérimentations très locales

Comment tu explores en fait ces sujets-là ? Et vers quoi aussi tu pourrais orienter les auditeurs pour ceux qui veulent creuser sur Comment aussi est-ce qu'on construit de la robustesse au niveau d'une petite communauté, d'un territoire, ou même individuellement, ça veut dire quoi

Olivier: Oui, c'est vrai que dans les médias c'est toujours le monde de la performance qui domine mais c'est normal, on est dans ce monde culturel drogué à la performance, donc on entend beaucoup parler des ultra-performants, le gouvernement n'arrête pas de parler d'efficacité, maintenant il parle de réarmement, performance versus violence on y est à fond mais en fait il ne faut pas oublier que moi je parle de basculement, enfin je ne suis pas le seul d'ailleurs, parce qu'en fait un basculement ce n'est pas une évolution progressive c'est qu'on passe de on à off assez rapidement, ça en fait c'est très bien étudié en systémique les basculements ça arrive toujours par la marge, toujours par la périphérie L'exemple typique c'est la nuée d'oiseaux.

Les oiseaux qui décident s'il faut tourner à droite ou à gauche, ce sont les oiseaux à la périphérie, parce que ce sont eux qui sont sensibles aux fluctuations du monde. Les oiseaux qui sont au cœur du système, ils ne voient que les oiseaux voisins. Et donc en fait ils sont aveugles au monde. Donc en fait les structures qui sont très visibles dans les médias, c'est surtout les oiseaux au cœur du système.

C'est McKinsey, c'est Total, c'est tout ça. Donc en fait ils ne nous apprennent rien. Ils sont coincés dans le monde d'avant, qui n'a pas vu que le monde devient fluctuant. Si on veut voir des exemples de robustesse en cours, il faut aller aux marges. Donc l'agroécologie c'est les petits paysans, l'auto-réparable c'était des ateliers de réparation de vélos au départ, mais maintenant c'est des grandes chaînes qui s'y mettent.

L'économie de la fonctionnalité, l'habitat participatif, même les conventions citoyennes qui se font maintenant dans les villes, etc. Tout ça c'est aux marges. Et c'est en train de contaminer le cœur. Et donc moi j'aurais tendance à dire, plutôt que de lutter contre le cœur du système, qui est de toute façon faisandé et qui va devoir basculer vers la robustesse, il faut plutôt passer son énergie dans les initiatives qui sont à la périphérie, qui sont bien alignées avec le monde fluctuant qui vient.

Ça donne tout de suite le sourire, parce qu'on se dit, là je participe au monde de demain. Et en plus, d'être plus robuste, ça va me permettre de passer la période de transition, de la performance à la robustesse, ce qui va être compliqué, très clairement, parce que les performants vont s'accrocher, ils vont résister.

Mais quand on est robuste, ça permet aussi de passer la phase de transition. Donc c'est doublement positif, parce que non seulement on construit le monde d'après, mais on se prépare aussi à la période de la transition.

Julien: Et la robustesse individuelle, comment elle se construit, quels sont les différents aspects

Olivier: Oui, il y a plein de choses. je peux faire un petit clin d'œil à la Finlande ? Parce que la Finlande, dans sa constitution, Elle a dans la constitution, c'est au cœur, les sept droits au bien-être. Et un de ces droits, c'est le droit à avoir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Ça, par exemple, c'est une contre-performance au service de la robustesse individuelle et celle du groupe, évidemment. Il y a plein de façons de faire de la robustesse individuelle. C'est évidemment dégager du temps pour soi, passer des moments où on ne fait rien, des moments d'éditation, d'arrêt. C'est dans l'arrêt qu'on se transforme.

Si on ne s'arrête pas, on est dans le hamster dans sa roue, donc il faut s'arrêter de temps en temps. Faire du yoga, par exemple. Le yoga, c'est un moment où on écoute son corps. Du coup, on fait une sorte de check-up tout en s'opposant. Son cerveau ne tourne plus, il écoute juste le corps. Ça, c'est des moments de robustesse où on construit la robustesse sur le long terme en ne faisant plus de la performance.

On ne mesure plus le temps qu'on passe à faire ou le nombre de pompes qu'on a fait le matin. Ça, c'est de la performance. Mais par contre, se poser, écouter son corps, ça, c'est de la performance. C'est de la robustesse individuelle. Après, la robustesse individuelle, elle n'est jamais qu'individuelle, elle est aussi sociale.

C'est-à-dire que la robustesse, c'est le tissu social quand même. C'est les interactions avec les autres qui font qu'on est robuste individuellement.

Julien: Les questions classiques de fin t'as déjà un petit peu été dessus mais ça vaut le coup de développer qu'est-ce qui te fait un petit peu peur dans la trajectoire actuelle et qu'est-ce qui te donne espoir par quoi tu regardes

Olivier: Ce qui me fait peur, c'est les ultra-performants, parce que ce n'est pas tellement qu'ils sont délirants, c'est qu'ils vont embarquer beaucoup de monde avec eux, par mimétisme. Les ultra-performants, dans le monde de la performance, c'est les modèles. C'est les ultra-riches et les gens votent pour qu'ils ne payent pas d'impôts.

C'est complètement dingue. C'est le mimétisme, pas très loin. Donc ceux-là, ils m'inquiètent beaucoup, parce que performance égale violence. Donc ils vont être violents. En fait, ils le sont déjà. Il y a plein d'exemples. Du coup, ça, ça me fait peur parce qu'il y aura de la casse. Il ne faut pas être angélique.

Il y aura de la casse à cause de ces ultra performants. Par contre, ce qui me réjouit, c'est de voir que le monde de la robustesse émerge et il émerge très fort, très fort. C'était que j'aurais jamais dit ça il y a 20 ans. Vraiment, c'est là. Actuellement, il s'est passé quelque chose. C'est ce que je disais tout à l'heure.

L'agroécologie, le réparat, tout ça, ça, ce monde là, là, il émerge très fort et il ne va pas s'arrêter. On n'aura pas le choix. Plus ça va fluctuer et plus il y aura d'initiatives robustes. À la prochaine crise, ce seront les très performants qui seront balayés parce qu'ils sont aussi les plus fragiles. Et donc, à chaque crise successive, c'est presque un nouveau service écosystémique.

Finalement, les fluctuations de notre environnement. Vont un peu balayer les plus performants. Ça va être beaucoup plus dur d'être dictateur dans un monde, dans le monde des méga feux et des méga inondations parce que les gens vont se rebeller et vont se poser des questions.

Julien: Ça va forcément aussi avec une forme de décentralisation, c'est-à-dire qu'il y a une opposition entre la performance centralisée, l'idée de centralisation, de contrôle au centre, c'était intéressant cet exemple de la nuée d'oiseaux, parce que c'est comme ça que fonctionnent les systèmes robustes, ils sont décentralisés en quelque sorte

Olivier: Absolument. C'est décentralisé avec la nuance que souligne bien Elinor Ostrom dans la gouvernance des biens communs. C'est que ce n'est pas la décentralisation avec des petites cellules isolées, autonomes, qui ne se parlent pas entre elles. Ce n'est pas le repli sur soi. Parce que le mot autonomie a toujours un peu un double sens.

C'est en effet des petites cellules autonomes qui sont capables de passer une fluctuation, mais qui sont hyper connectées les unes aux autres. C'est assez robuste. Quand on se replie sur soi dans son petit groupe, dans son petit collectif, c'est très fragile. Parce qu'un jour, il y a une fluctuation qui est trop forte et on a besoin de l'aide des autres.

On a besoin d'être hyper connecté avec les autres. C'est une décentralisation intelligente. Des unités distribuées, mais qui sont hyper connectées les unes aux autres.

Julien: Et tu peux peut-être revenir pour finir aussi sur un exemple lié à ça dans le vivant, puisque c'est aussi ton sujet, tu avais écrit un livre là-dessus, « La troisième mode du vivant », sur comment, quand il y a des chocs, la coopération s'organise subitement. Je ne sais pas si tu prends l'exemple d'une forêt ou d'animaux où on voit les liens se resserrer de manière étonnante.

Olivier: Oui, ça rejoint un petit peu l'idée de, si je prends l'exemple de la forêt, l'exemple de la forêt, donc Gauthier Chapelle et Pablo Servigne en parlent bien aussi, quand les ressources sont abondantes, donc c'est plutôt au bas d'une montagne, dans une plaine bien irriguée, les sols sont riches, etc. Quand on enlève un arbre, quand on déracine un arbre, les arbres autour vont en profiter.

Donc ils vont boucher la clairière ça veut dire qu'ils étaient en compétition avant et quand on va en haut de la montagne dans les conditions rudes les sols sont très pauvres, il fait froid, il y a du blizzard si on déracine un arbre les arbres autour vont réduire leur croissance parce qu'ils sont en train de souffrir parce que là en fait on a enlevé un partenaire l'arbre qu'on a enlevé c'était un fournisseur de nutriments pour les autres c'était aussi des lignes de communication et donc quand on a enlevé un arbre on a laissé les partenaires se débrouiller tout seul et là d'un seul coup ils ont perdu un partenaire important du coup ça veut dire que quand il y a pénurie de ressources les êtres vivants coopèrent et ça c'est une loi générale de la biologie et la coopération c'est l'exemple typique de robustesse parce que quand on fait une coopération ça veut dire qu'on met l'objectif commun avant l'objectif individuel donc ça veut dire que parfois il faut se tirer une balle dans le pied pour atteindre l'objectif commun ça c'est typiquement une contre-performance individuelle au service de la robustesse du groupe Et donc il sera favorable pour nous individuellement à la fin.

Julien: Dernière question, deux ouvrages à lire de livres qui t'ont particulièrement marqué dans ta vie sur ces sujets-là ou d'autres que tu recommandes de lire.

Olivier: Oui, alors moi j'aime bien Homo Confort de Stefano Boni, parce qu'il fait un peu un état des lieux du choix des humains qui ont choisi le confort, donc une certaine forme de performance, de bien-être très étroit, et qui dit qu'en fait ça nous a désensualisés vis-à-vis du monde, c'est qu'on a notre relation au monde, c'est réduit à des boutons poussoirs, des écrans, on refuse certaines odeurs, on refuse d'être touché dans le métro, il y a des choses qu'on ne fait plus, parce qu'on s'est réduit.

Donc Homo Confort, il y en aurait plein, mais peut-être le contrat naturel de Michel Serres. Un bouquin de 90 qui disait, en gros, pour le dire rapidement, que la loi de l'offre et la demande n'a aucun sens. La loi de l'offre et la demande fait l'hypothèse que la nature est gratuite et illimitée à l'échelle d'une vie humaine, ce qui est complètement faux.

La vraie loi, c'est la loi des besoins et des ressources, où là, on est obligé de mettre le troisième fil de la prise de terre, avec un grand T. La nature, c'est un partenaire, c'est un troisième partenaire.

Julien: Ok, puis on mettra plus de liens aussi pour ceux qui veulent creuser, pour la mise en lien justement peut-être sur les territoires, je pense que ce sera intéressant de mettre ça sur le site ou dans la newsletter. Merci beaucoup pour ton temps Olivier, merci.

Olivier: Merci.

 

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Transcript généré automatiquement par IA.















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