Quelle est la situation humanitaire en Afrique de l’ouest ? Quel rôle y joue l’Union Européenne ?
L’Afrique de l'ouest traverse en ce moment une des plus graves crises humanitaire de son histoire. Depuis des années, la conjonction de conflits armés violents, de jeux politiques et d’évènements climatiques (la région subit en ce moment des inondations dramatiques) crée de graves tensions que sont venues exacerbées la pandémie de Covid et cette année la guerre en Ukraine.
Une fois n’est pas coutume, je parle à une personne qui sur le terrain est en mesure de nous donner à voir de près une réalité qui à beaucoup d’entre nous semble lointaine et qui pourtant nous concerne et peut nous amener à réfléchir à notre propre condition. Hilaire Avril est le responsable de l'information régionale pour l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest à la Commission européenne. Il me parle de la situation dans la région, et de la réponse de l'Union européenne à la crise humanitaire actuelle.
ITW enregistrée le 26 octobre 2022
De quoi parle-t-on ?
00:00 - Intro
01:10 - Qui est Hilaire Avril ?
Responsable Communication de la Direction Générale Humanitaire de la Commission Européenne
Ex-journaliste sur les questions de conflits et humanitaires (Afrique de l’Est, Afrique Centrale, Amérique Latine)
02:20 - C’est quoi la Direction Générale ECHO ?
La commission a au total 33 Directions Générales différentes
ECHO est le bras humanitaire fondé il y a 30 ans pendant la guerre de Yougoslavie
10 personnes il y a 30 ans, 500 personnes à Bruxelles 500 personnes dans les pays en conflit dont ⅓ d’européens
Il y a 33 DG dont la DG Pêche par exemple
Dans la DG ECHO : l’humanitaire d’urgence et la protection civile depuis 2001
7:20 : C’est où le Sahel ?
Une région grande comme l’Europe
C’est une savane très aride au sud du Sahara.
Région pauvre, avec des populations très diverses possédant notamment des modes de vie ancestraux.
10:20 - Quelle est la situation humanitaire sur place ?
La situation est catastrophique selon un certain nombre de systèmes d'évaluation.
Dans le monde entier, on assiste à une explosion des besoins humanitaires. Une situation inédite depuis la seconde guerre mondiale et l’Afrique de l’Ouest ne fait pas exception
Deux pôles de conflits dans la région :
autour du Lac Tchad avec une insurrection très violente depuis une dizaine d’années provoque le déplacement de population assez vulnérable.
Zone des trois frontières : entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Ces trois pays sont tous concernés par une insurrection qui s’en prend beaucoup aux populations civiles.
14:30 - Le respect d’une neutralité en tant qu’humanitaire
Les humanitaires s’expriment avec un vocabulaire volontairement neutre. Ils n'utilisent jamais le nom d’un groupe.Ils parlent de forces de défenses et de sécurité quand c’est un groupe en uniforme émanant d’un gouvernement et de groupes armés non étatiques quand ce sont les autres.
L’objectif est d'essayer de démontrer que les humanitaires ne sont au cours d’un conflit ni d’un côté ni de l’autre mais exclusivement en soutien des populations vulnérables. Malheureusement ça ne marche pas toujours
17:50 - En tant que français, par rapport au contexte, comment cette situation est gérée ?
C’est la question principale
L’accès est primordial pour venir en aide aux populations et pour analyser la situation
Problème : L’accès est de plus en plus restreint en Afrique de l’Ouest. Les européens ont de plus en plus du mal à accéder à certaines régions qui sont en guerre. Les humanitaires européens sont considérés comme des belligérants à cause des tensions.
Les humanitaires nationaux ont encore davantage de problèmes d’accès
Il faut devenir très inventif et prudent pour pouvoir aider les populations vulnérables
23:30 - Quelles sont les différentes composantes qui viennent alimenter ce contexte ?
Accumulation de chocs et de facteurs.
En préambule, il faut rappeler le contexte de fragilités des populations : ils vivent de l’agriculture de subsistance et plusieurs pays sont depuis toujours tout en bas du classement de l’indice de développement humain publié tous les ans par les Nations Unies
Là dessus, il y a des facteurs qui se greffent :
Le premier facteur, ce sont les conflits et violences engendrés sont le premier facteur en besoin humanitaire : des hôpitaux et beaucoup d’écoles sont attaqués. 12 000 écoles fermées puisque certains groupes considèrent que l’école vise à ranger les populations du côté du gouvernement. Des millions de personnes fuient avec leurs enfants pour trouver un endroit moins à la merci des violences.
Le deuxième facteur c’est le climat : le Lac Tchad dont la superficie a beaucoup diminué ces dernières années. Cependant ça peut donner un effet positif, l’apparition de nouvelles terres arables. L’incertitude des saisons, le bouleversement des cycles sont un facteur énorme.
Le troisième facteur c’est le Covid, choc externe et surprise que personne n’avait vu venir. Beaucoup de pays ont réduit leurs échanges. L’accessibilité des régions peu accessibles était encore plus compliqué.
Le quatrième facteur c’est la guerre en Ukraine. La Russie est un grand fournisseur de céréales, d'huiles mais aussi d’engrais. L’effet s’est fait ressentir sur les stocks et sur les prix également. L’explosion des prix est telle qu’au sud de la Mauritanie a triplé depuis l’année dernière. Il y a aussi de la spéculation.
C’est un perfect storm : conjonction de facteurs extérieurs
27:00 - L’impact sur le terrain ?
Ces facteurs complexifient une situation déjà compliquée
La bonne nouvelle c’est que les systèmes de maillage pour aider les populations sont toujours en place et fonctionnent.
Ces systèmes donnent des mauvaises nouvelles. En Juin, 40 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire à la limite de la famine
L’information et l’actualité sont de plus en plus entravées. Même pour les journalistes des pays de l’Afrique de l’Ouest, accéder aux terrains est compliqué.
C’est pour cela qu’il faut se rattacher aux principes humanitaires
30:40 - Son sentiment général sur l’humanitaire
L’humanitaire c’est aujourd’hui un mouvement cadré, normé, formalisé
L’humanitaire en quelques dates :
1870 où Henry Dunant se balade sur un champ de bataille. Alors qu’à l’époque, traditionnellement on laissait dépérir les combattants blessés, le suisse décide de les soigner. Il crée La Croix Rouge.
Il y a environ 50 ans, lors d’une guerre au Nigéria, qui a fait des millions de morts, la faim a été utilisée. C’est à ce moment-là que Médecins sans frontières a été créé mais aussi des Ong françaises comme Action contre la Faim, Médecins du Monde et beaucoup d’autres.
Pour résumer rapidement, en, théorie :
“L’humanitaire sert à aider les populations à survivre lors d’un choc externe sans considération de couleurs de peau, d’appartenance politique, d’origine sociale, de nationalités”
Médecins sans frontières explique que c'est : restaurer les populations dans leur capacité de choix
En pratique c’est bien différent. Beaucoup de gouvernements ne voient pas cela de cet œil là. Pour eux, que les humanitaires aident les populations ça représente un danger. On essaye d’esquiver ces interférences politiques. En sachant que c’est rarement simples
36:10 - Est ce que les critiques émises sur l’humanitaire sont justifiées ?
Une part croissante du travail : analyser les dynamiques sur le terrain, les intervenants pour savoir où on met les pieds. Les critiques sont prises en compte par les humanitaires.
De plus en plus, un certain nombre de bailleurs de fonds et d’organisations humanitaires ne sont pas neutres. Ils n’ont pas comme unique considération la vulnérabilité des populations. C’est souvent volontaire. Cela complique grandement la donne pour le reste des humanitaires qui eux sont neutres
38:30 - La problématique du financement ?
Une question importante et épineuse. La DG ECHO finance les ONG humanitaires agréées. On fait de l’analyse et on regarde ce qui ne va pas. On regarde où sont les besoins les plus criants. Un exercice que l’on fait plusieurs fois par an pour être réactif
La deuxième chose qu’on fait c’est qu’on finance. Par exemple, soutenir la sécurité alimentaire, aider les enfants en situation de malnutrition ou aider les populations à se sédentariser
La troisième chose surveiller que l’utilisation de l’argent soit bien réalisée et que la réponse traite bien les questions prioritaires
Il faut adapter la réponse. Par exemple, au Burkina Faso, un de leurs partenaires humanitaires, un programme d’éducation auprès de milliers d’enfants. Les conditions sont tellement drastiques que le programme a été supplémenté par un volet psycho sociale pour que les enfants traumatisés par les conflits soient aidés
43:00 - Son vécu en tant qu’humanitaire
Sisyphe c'est une très bonne image : c’est extrêmement frustrant de voir les gens qu’on a aidé replongent quelque temps plus tard dans l’extrême pauvreté.
C’est vraiment compliqué de se limiter à la définition théorique de l’humanitaire. L’impression d’être là juste pour poser un pansement et non changer le monde
L’étape suivante, qui n’est pas du ressort des humanitaires qui est le développement, marche de moins en moins. C’est très difficile à faire quand le terrain est instable quand il y a la guerre. C’est d’après lui ce qui pèse le plus aux humanitaires. Et en même temps, ce sont les limites.
C’est cyclique. Par exemple, quand il était en Afrique de l’Est il y a 20 ans, il y a eu une période d’amélioration mais ensuite le déclin est revenu.
En fait c’est plus qu’un travail qui a ses récompenses. Il y a des moments géniaux et lumineux. Il faut se ménager et reconnaître ses limites. Il faut savoir faire des pauses. C’est un travail physique dangereux.
48:30 - Pourquoi il continue dans l’humanitaire ?
Rien ne lui semble plus important que sauver des vies depuis sa première expérience durant l’été 99 en tant que volontaire chez Médecins Sans Frontières.
Même s' il y a des moments frustrants, des situations de plus en plus compliquées, ça ne change rien au plaisir de sauver la vie de personnes.
Les visites de projet ou sur le terrain. Les longues conversations avec les habitants les plus anciens pour se rendre compte du changement qu’il y a eu. Ce sont des moments gratifiants.
54:20 - L’évolution des habitudes
Il n’y a pas qu’un changement du climat. Il y a également une évolution sur les habitudes et les mœurs. Ce ne sont pas forcément des changements négatifs.
Le délitement du lien social. Par exemple, à l'époque quand un habitant perdait un animal, tout le village cherchait l’animal. Aujourd’hui, les voisins ne connaissent pas les animaux de leurs voisins.
Les habitudes alimentaires ont changé. Aujourd’hui, les enfants mangent du riz, de l'huile, et certaines céréales. des aliments qui demandent d’aller en ville, de gagner de l’argent.. Cela n’existait pas à l’époque. Ils mangeaient des aliments qui poussaient dans la région comme le mil.
Le choix de se sédentariser est un bouleversement pour certaines populations.
56:30 - Comment les habitants font face à la crise ?
La solidarité est très importante pour faire face à une crise. Les habitants ont bien conscience que sans solidarité ils pourraient disparaître. Ils sont anxieux à l’idée que la solidarité traditionnelle disparaisse.
D’ailleurs, dans le cas d’une crise, les premiers qui vont porter assistance ce sont les voisins, les deuxièmes ce sont les humanitaires des pays concernés. Les agences onusiennes ou les ONG n’interviennent seulement qu’en troisième lieu parce qu’ils mettent quelques jours à intervenir et mettre en place la logistique nécessaires. Les bailleurs de fonds arrivent ensuite pour soutenir les personnes en première ligne.
70% des réfugiés dans le monde sont dans des pays particulièrement vulnérables au réchauffement climatique. (Source : Haut Commissariat des Réfugiés)
Parfois les réfugiés campent dans des décharges parce qu’il n’y a plus d’autres places.
01:02:00 - Quel est le sens de la vie ?
La vie n’a plus de sens si l’on aide pas les plus vulnérables et en particulier les plus jeunes selon Hilaire Avril
Il ne faut pas oublier ses priorités personnelles, voir ses enfants grandir. Savoir complètement débrancher afin de pouvoir repartir du bon pied.