Quelles seront les conséquences du changement climatique sur la géopolitique et les flux migratoires ?
François Gemenne est un chercheur en sciences politiques, rattaché à l’université de Liège. Il enseigne à Sciences Po Paris et à l’Université Libre de Bruxelles. Ses recherches sont essentiellement consacrées aux conséquences politique et sociales liés aux changements climatiques (migrations et déplacements de populations notamment), ainsi qu’aux politiques d’adaptation au changement climatique. Il dirige l’Observatoire Hugo, et il codirige l’Observatoire Climat et Défense à Paris, établi par le ministère des armées à l’IRIS. Il est aussi auteur principal dans le groupe de travail n°2 du GIEC.
Épisode enregistré le 23 avril 2020.
Parmi les thèmes abordés : le monde d’après, changement climatique, migrations, Covid-19, géopolitique, Europe, différences culturels, résilience, adaptation, risques systémiques
Notes de l’épisode
2’ – La crise actuelle est une catastrophe pour la cause écologique
● Chaque jour supplémentaire en confinement contribue à déconstruire l’édifice patiemment construit ces dernières années pour mieux protéger l’environnement, et ce pour plusieurs raisons :
o Plans de relances comme bouée de sauvetage aux entreprises du passé
o Lobbies qui tentent de s’affranchir de certaines règles de protection de l’environnement
o Coopération internationale en lambeaux avec des réponses essentiellement nationales
o Élément psycho/culturelle néfaste lié au risque de jonction entre projets survivalistes et nationalistes, i.e. dystopie ultime
● L’arrêt complet d’activité n’est pas une solution aux enjeux du climat
o Besoin de solution de long terme, pas d’une « année blanche »
o Il faut commencer un mouvement de déclin soutenu sur le long terme pour tenir les objectifs
o COVID peut être vu comme une expérience pédagogique permettant de mesurer l’ampleur de l’impact et des efforts à faire
12’ – Irréalisme des objectifs de l’accord de Paris
● Horizon trop lointain des objectifs dont le terme dépasse la durée de vie de ceux qui les ont fixés
● Il faut abandonner ces objectifs et montrer un chemin réaliste/graduel pour y parvenir
● Chaque diminution de 0,5% de nos émissions compte !
● Besoin aussi de maximiser notre adaptation face aux impacts du changement climatique
18’ – Impacts climatiques et géopolitique
● L’enjeu climatique traverse de nombreux autres enjeux de politique publique
● Erreur de croire que la question du climat est un enjeu pour la terre seulement
● Besoin de mieux communiquer sur les impacts socio/économiques du changement climatique
● La migration comme illustration du lien naturel entre économie et environnement (perdu en occident)
● Un manque d’anticipation face à l’enjeu majeur que sera d’ici 2050 l’accès aux terres
● De nombreuses régions du monde vont devenir inhabitable (chaleur/inondation)
● Les états feront face à des choix difficiles en matière de protection de zones et des populations : «c’est la grande question qui va se poser à toutes les population au sujet du réchauffement climatique : qu’est-ce qu’il faut sauver, et qu’est-ce qu’on choisit de sacrifier »
26’ – La relation climat/flux migratoires et le projet européen
● En Europe, on peut s’attendre à une augmentation des flux migratoires en lien avec la dégradation des conditions environnementale liés aux changements climatiques
● Les mouvements de population dépendent de nos émissions de G.E.S et de nos politiques publiques
● Le principal risque est que chacun se renferme sur lui-même, e.g. « bunkerisation » de l’Europe.
● Le projet européen est malmené actuellement, e.g. Schengen est un lointain souvenir
● Le salut du projet européen pourrait dépendre du Green new deal comme exemple de sortie de crise
32’ – Nous ne réagissons que face au danger immédiat
● COVID a bien mis en lumière notre peur de la maladie/mort lorsque le risque est proche
● Le problème fondamental est celui de la distance entre nous et le changement climatique
● Même les actions immédiates de certains états sont uniquement motivées par un intérêt économique
● L’essentiel reste la capacité de prise de conscience de l’opinion publique et son niveau de conviction
● En société démocratique, c’est le vote qui permet d’imposer l’adoption des mesures de long terme nécessaires, pas la seule bonne volonté de gouvernements sous pression des lobbies
38’ – Ouvrez les frontières !
● C’est le moyen le plus rationnel/pragmatique de gérer les questions migratoires sur le long terme
● L’histoire, la sociologie et la prospective nous enseignent que face à la force du projet migratoire (question de survie), la régulation par les frontières est un outil de politique publique inefficace
● Sans changement nous continuerons à créer des drames humains et à faire le business des passeurs
● Il faut modifier le narratif en démontrant les bénéfices
● Transformation structurelle irréversible de nos sociétés que l’on doit simplement accepter et dont on doit maximiser les bénéfices tout en limitant les inconvénients
48’ – Le problème de la fausse vérité
● Ce que l’on considère comme désirable au niveau individuel ne représente pas l’opinion de la majorité
● La négation de la réalité vécue par l’autre est un grand défi
● Nous avons une vision claire du monde que nous ne voulons pas mais pas de vision commune et partagée du monde dans lequel nous voudrions vivre
● Grande inquiétude autour de la polarisation/cristallisation récente des points de vue
● Il faut accepter le point de vue de l’Autre, faire preuve d’humilité culturelle et forger des consensus
Les recommandations de François
Ouvrages :
● « Tintin au Tibet », Hergé (parceque « même l’abominable est bon »)
Un grand merci à Carl Daspect pour la rédaction de ces notes